Vers une interdiction bruxelloise des huiles essentielles?
En effet, voilà qu’à l’occasion d’une révision du règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances qui devrait être acté avant la fin de l’année 2022, les huiles essentielles vont se trouver en difficulté. Ce règlement associé à la décision de la Commission européenne d’aller « vers un environnement exempt de substances toxiques » risque de ternir non seulement l’image des huiles essentielles dont on peut légitimement louer les bienfaits, mais encore, par des effets pervers et plus ou moins actés légalement, d’amener à l’interdiction de ces produits ou tout du moins à leur agonie au profit de leurs équivalents de synthèse. Il est bien connu que les huiles essentielles ne sont pas de l’eau. Toutes ont leurs contre-indications et elles exigent le respect d’une posologie claire dans leur usage, car très concentrées elles contiennent des molécules potentiellement dangereuses à doses immodérées. Cela est avéré et les contre-indications sont déjà notées sur les emballages ou les notices accompagnant ces huiles. Cependant, et parce qu’elles contiennent ces molécules, elles pourraient demain être rangées parmi les toxiques au même titre que les produits cancérigènes ou les perturbateurs endocriniens, dans la rubrique des parabens ou de la méthylchloroisothiazolinone. Cette classification est ridicule, car de même qu’il ne viendrait jamais à l’idée de ranger l’aspirine dans les toxiques parce que dangereuse en quantité abusive, les huiles essentielles ne sont nullement toxiques employées avec raison et bon sens. Les incidents liés à l’usage d’huiles essentielles sont d’ailleurs extrêmement rares et sont loin de représenter un problème sanitaire majeur, en particulier pris en regard des bienfaits physiques ou moraux dont témoignent les usagers réguliers de ces produits. En revanche, pour un bénéfice sanitaire absolument nul, les conséquences sociaux-économiques et écologiques de cette mesure seraient terribles. Plus de 2500 producteurs seraient directement touchés, auxquels s’ajoutent distilleries et entreprises dépendantes du secteur en France. Outre une évidente frilosité des usagers à utiliser un produit prétendument toxique, Alain Aubanel, président du Syndicat des plantes à parfum, aromatiques et médicinales de France, redoute également le surcoût important en démarches administratives pour travailler et commercialiser ces substances nouvellement reconnues « toxiques ». Un surcoût estimé à plusieurs milliers d’euros que beaucoup de petits producteurs ne pourraient pas assumer. À ce désastre économique et social qui se répercuterait jusque sur l’apiculture et le nougat de Montélimar (utilisant du miel de lavande), s’ajouterait un désastre écologique, puisqu’il est évident que les champs de lavande entretiennent la biodiversité.
Ce projet est donc une aberration, l’exemple manifeste et renouvelé de l’Union européenne à vouloir tout normer, tout réglementer, et cela sans aucun bénéfice mais au détriment de ce qui représente pourtant l’avenir. Comment voir une démarche écologique dans une réglementation qui tuerait les petits artisans, et cela au profit de laboratoires en mesure de proposer des huiles de synthèse débarrassées des molécules incriminées ? Il y a là une contradiction évidente entre l’aspiration des populations à des produits plus naturels et celle d’institutions qui, par leurs idées, semblent toujours vouloir éteindre cette même aspiration.
Alors certes, depuis le tollé suscité par ces révélations la Commission européenne s’est fendue d’un droit de réponse ainsi conçu : « Il n’est pas prévu qu’on interdise l’huile essentielle de lavande, de thym ou de romarin ». Plus loin, elle explique que ces inquiétudes sont « infondées » et « prématurées ». Il est certain qu’un tel communiqué, plus rusé que convaincant, n’enlève rien au danger qui plane sur les huiles essentielles, car ce ne sont pas elles qui sont directement visées par une possible interdiction, mais les molécules « toxiques » qui les composeraient. De fait, c’est bien une interdiction indirecte et hypocrite qui les concernerait à moyen terme, et tout du moins une réglementation si lourde et contraignante qu’elle tuerait de fait le secteur des huiles essentielles naturelles.
Ces inquiétudes ne sont donc nullement infondées, et elles le sont moins encore qu’un communiqué de presse les présentant également comme « prématurées » laisse songer que dans un futur proche il sera temps de les ressentir. Bien évidemment, la Commission européenne se veut rassurante, expliquant qu’il y aura un dialogue avec tous les acteurs, que le Parlement européen et les 27 devront se prononcer, mais cela doit-il véritablement rassurer ? L’idée même d’un tel projet est si invraisemblable et dangereuse qu’il ne devrait même pas arriver devant les députés européens et mourir de sa belle mort. Parce que c’est le patrimoine français qui est menacé, parce que ce sont des millénaires de traditions, parce que des milliers d’emplois en dépendent et qu’il y a derrière ces emplois un savoir-faire précieux, c’est aux Français de s’élever les premiers contre cette nouvelle loufoquerie dangereuse d’une Commission européenne qui semble s’ennuyer des vrais problèmes. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on doit faire le jour même, et jamais confier son destin, son emploi, son outil de travail et l’héritage dont on est le garant aux mains de gens qui parlent moins souvent aux hommes du terroir qu’aux lobbyistes.
Si demain l’europhobie et le mot frexit deviennent des marqueurs du caractère français, la Commission européenne n’aura qu’à se regarder dans un miroir pour trouver le coupable.
Alexandre Page, docteur en histoire de l'art, écrivain