Recension de "L’après littérature" d'Alain Finkielkraut
Fils d’immigrés Juifs Polonais rescapés de la Shoah, il naît à Paris le 30 juin 1949. Il fait ses études à l’École normale supérieure de Saint-Cloud et y obtient sa maîtrise de philosophie. Il sera enseignant jusqu'en 2014, notamment à l'École polytechnique.
Engagé à l’extrême gauche maoïste dans sa jeunesse, il prend ses distances avec le mouvement dans les années 70. Son virage "réactionnaire" est amorcé dès la moitié des années 80, tout d'abord en filigrane dans La sagesse de l'amour (1984, Gallimard) puis de façon plus explicite dans La défaite de la pensée (1987, Gallimard). Au début des années 2000 il est qualifié de "nouveau réactionnaire" et le Nouvel Observateur met sa photo en couverture du numéro spécial "les néo-réacs" en 2005. Ses prises de position conservatrices sont de plus en plus affirmées, notamment dans L’identité malheureuse (2013, Stock) et La seule exactitude (2015, Stock).
Il récidive en 2021 avec L’après littérature, journal politico-philosophique dans lequel il décortique les évènements marquants de ces dernières années en les interprétant à l’aide de la littérature.
La teneur est annoncée dès les premières pages: "Notre temps, délesté de la sagesse des Anciens, ne reconnait d'autre loi que son élan compassionnel.", ou bien: "On fait dire à des poètes et des compositeurs sans défense que nous avons envers les migrants un devoir de fraternité et qu'y manquer, c'est retomber dans la barbarie.".
Le philosophe attaque par la suite le politiquement correct dans la culture américaine, la "cancel culture" et le mouvement "woke", le concept d’islamophobie, les excès du néo-féminisme et de l'antiracisme. Il invoque l'exemple des deux minutes quotidiennes de haine vouées à Emmanuel Goldstein dans 1984 de George Orwell pour l'appliquer à la désormais célèbre édition des Césars de 2020.
Finkielkraut cite souvent deux de ses écrivains de prédilection: Philippe Roth et Milan Kundera, symboles d'une littérature qu'on cherche désormais à effacer pour la remplacer par des manifestes féministes et antiracistes.
Inquiet de l'effondrement de la culture européenne, prélude à la mort de notre civilisation, il n’hésite pas à affirmer qu' "Après Hitler, on a voulu purger les identités nationales et l’identité européenne de toute consistance identitaire, sur le modèle habermassien du "patriotisme constitutionnel"". Il rejoint par là le constat d’Éric Zemmour sur le déclin de la France et sur le dévoiement de la philosophie de Tocqueville.
Il poursuit sa démonstration conservatrice en partageant avec le lecteur son émotion vécue lors de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame: "Nous ne sommes pas seulement des travailleurs et des consommateurs, [...], nous avons aussi besoin pour vivre humainement d'un monde." Et il cite Paul Ricœur: le monde est "l'ensemble des objets durables qui résistent à l’érosion du temps.".
Petit reproche de ma part, au sujet du confinement et de la crise sanitaire. Finkielkraut se réjouit avec raison du coup d’arrêt porté au sentiment de toute puissance de l’Homme sur Terre et à son exploitation de la planète : "nous nous croyions avant cette date délivrés du poids de l’appartenance et de ce que Heidegger appelait, pour designer l’existence humaine, l’être-là.". Cependant, il raille les inquiétudes concernant l’avancée du totalitarisme et du contrôle des sociétés : "On a donc accusé nos dirigeants d’abroger avec jubilation les libertés publiques. Celles-ci pourtant n’étaient que temporairement suspendues.". L’essayiste a sans doute achevé l’écriture de son livre à la mi-2020, avant les passeports sanitaires, les applications de partage de données médicales, les obligations vaccinales déguisées ou non, la mise au ban de la société des non vaccinés, les annonces de projet de crédit social. Ou alors il est tout simplement reconnaissant à l’Etat de ne pas l’avoir sacrifié en tant que personne âgée sur l’autel de l’économie.
Quoiqu’il en soit, la lecture de L’après littérature est très enrichissante du fait du mélange d’idées politiques conservatrices et de références littéraires. Il en ressort une certaine sensibilité spirituelle, bien loin des accusations de populisme formulées à l’encontre d’Alain Finkielkraut par ses détracteurs, le plus souvent de cette gauche qui l’accuse de l’avoir trahie.
Mathaniel GARSTECKA