La tentation de la pureté
Ce qui frappe immédiatement, dans le contexte actuel, c’est la généralisation des thèmes de la sécurité et de l’immigration chez les candidats de « Droite ». De Xavier Bertrand en passant par Valérie Pécresse, Michel Barnier et bien sûr Éric Zemmour, jamais ces sujets portés quasi-exclusivement par Jean-Marie Le Pen, puis Marine Le Pen n’auront autant fait recette. Evidemment, la sincérité de l’auteur du « Suicide Français » n’est pas à comparer avec celle des candidats à la candidature LR, cependant le fait est saisissant. Cela dit, on voit mal sur quels autres sujets les programmes de Bertrand, Pécresse et Barnier pourraient se différencier de celui d’Emmanuel Macron. Le Président étant la version CSP+ et 2.0 des vieilles dingueries indigénistes et intersectionnelles. Voilà un bon moyen, le seul, pour ne pas donner l’impression de proposer le même rata aux électeurs.
La candidature de Zemmour est d’une autre nature, celle de la recherche de la pureté. La droite a trahi et Marine Le Pen ne va pas assez fort sur les vrais sujets. Comprendre par les vrais sujets : l’islamisme, le séparatisme, l’identité, la lutte contre l’immigration. Le journaliste du Figaro dans une vision apocalyptique nous parle d’une France au bord du chaos, d’une identité fracturée, de la nécessité de prendre des mesures radicales. Evidemment que le constat est juste et l’urgence présente mais qui est exactement Éric Zemmour pour venir faire la leçon aujourd’hui ? Qui pourrait faire semblant de ne pas voir que le RN et Marine Le Pen sont dans une mauvaise passe, que le renouvellement attendu ne s’est pas réalisé, que le parti est en grande fragilité financière et judiciaire, qu’il ne produit rien et que sa direction est aux fraises. Oui tout cela est vrai ! Pourtant, depuis 2002, où était Éric Zemmour ? Pourquoi n’a -t-il pas pris son courage et son immense talent pour les mettre au service de la cause nationale ? Pourquoi attend-il que la situation soit devenue à ce point dramatique ? Il est également très surprenant et pour le moins malhabile de considérer que tout ce qui était avant soi est de la daube. Les militants, les cadres, les élus du FN, puis du RN ne vont pas forcément apprécier. Eux qui ont tout sacrifié, depuis quarante ans pour certains, même la stabilité de leur couple et de leur emploi, pour défendre les couleurs et les thèmes du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. Ceux-là sont considérés par les amis de Zemmour comme « Des ex-élus poisseux du RN […] on ne travaillera pas avec ceux-là car il ne faut pas faire peur au notaire de Senlis".*
Éric Zemmour est un personnage complexe, intelligent, très gentil, drôle mais qui depuis un moment se consume d’un feu intérieur qui finit même par dévorer son enveloppe charnelle. Cette fascination de la pureté, qui disqualifie Marine Le Pen à ses yeux, est un credo approuvé par ceux qui le suivent, le poussent même, dit-on. Le RN n’est pas assez intellectuel, pas pour la remigration, pas assez en pointe sur le « grand remplacement », pas assez sur les valeurs… Comme si, depuis quarante ans, il avait fallu attendre des vieux avec des physiques de jeunes et aussi l’inverse pour ce qui concerne Antoine Diers pour guider une famille politique. Famille qui pourtant a été deux fois au second tour de l’élection présidentielle en quinze ans. Deux fois alors que la famille patriote s’est toujours présentée morcelée : Villiers, Mégret… Et que son ADN est d’être constituée d’une multitude de chapelles à la longévité relative. Mais le natif de Montreuil et son équipe sont des cathares, des parfaits de la politique. Tout doit être exactement comme dans le dépliant. Ce « du passé faisons table rase », qui passe d’Eugène Pottier** à de jeunes cathos en pantalons roses et pulls sur les épaules, est déstabilisant. Il implique qu’il faudra, peut-être, sauver la drauche LR, au nom de la pureté, en lui permettant d’accéder au second tour en lieu et place de Marine Le Pen. La Droite conservatrice en supplétif des libéraux-pompidoliens, voilà le risque assumé par les zemmouriens. Evidemment que les choses seront plus complexes et que l’électorat RN sera mobilisé pour cette campagne, assurant, in fine, une place sur le podium à Marine Le Pen. Mais à quel prix ? Car il faut être réaliste, c’est une guerre civile des nationaux qui vient. L’auteur du Suicide Français, dans sa recherche d’un objectif tout sauf clair, doit assumer ses responsabilités à venir. La fracture va être durable entre pro et anti Zemmour.
A la fin des fins, le polémiste croit-il sincèrement en ses chances de se qualifier pour le second tour ? Si oui, c’est qu’il n’a finalement aucun sens politique ou qu’il est persuadé que les circonstances empêcheront la Présidente du RN de se présenter. Etrange pari qui, au bout du compte, ne peut que casser toutes les dynamiques anti-macron et permettre au chef de l’Etat de sortir en tête au soir du premier tour, reléguant le second dans le rôle peu enviable de challenger.
Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Jacques Chirac et plus brièvement de François Fillon, que l’on annonçait comme la « prise de guerre de Zemmour » a non seulement refusé l’offre du journaliste mais a lancé un terrible : « c’est un candidat pour faire gagner Macron ». Eric Zemmour va commencer à prendre des coups, saura-t-il se sublimer ou faire le Calimero comme après la décision du CSA ? *** C’est dans l’adversité que l’on reconnaît les grands personnages.
Arnaud Stéphan, éditorialiste Tysol, chroniqueur LCI, spin doctor
* https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-qui-sont-les-soutiens-d-eric-zemmour-7900068649
**Auteur des paroles de l’Internationale
***https://www.lefigaro.fr/politique/decision-du-csa-sur-eric-zemmour-la-classe-politique-divisee-20210909