Monseigneur Aupetit: une démission bien trop personnelle
Alors que l’onde de choc du rapport de la CIASE sur les abus sexuels continue de se propager, que la société civile, les associations de victimes et les fidèles demandent à l’Eglise de rendre des comptes sur sa contribution réelle ou tacite aux crimes commis, qu’apprend-on ?
Que Mgr Aupetit, archevêque de Paris, 70 ans, serait mis en cause par Le Point au sujet d’une ancienne liaison amoureuse, qu’il aurait démentie.
En pleine crise des abus sexuels, alors que l’Eglise est mise en cause de façon systémique dans les crimes commis en son sein, Mgr Aupetit trouve le moyen de faire parler de lui au sujet d’une affaire qui mettrait en cause sa réputation, et pour laquelle il lui faudrait immédiatement et sans délai, démissionner.
Celui-ci aurait évoqué son projet de démission à son conseil épiscopal restreint, et envoyé sa lettre de démission, que le Vatican aurait réceptionnée le 25 novembre. En attendant, seul le Pape peut en décider.
Mais dans le contexte actuel, que penser de cette affaire et surtout, que penser de la rapidité avec laquelle Mgr Aupetit essaie de devancer le scandale ?
Il faut mettre en balance ces deux faits : le bilan de la CIASE et la rumeur d’une liaison. Or nous sommes obligés d’admettre que ces deux faits ne revêtent pas la même importance aux yeux de Mgr Aupetit, qui, rappelons-le, est le numéro un de l’épiscopat français, la tête de l’Eglise de France.
Face aux crimes commis, aucun des membres de l’épiscopat n’a eu l’idée jusque-là de démissionner pour en porter la charge morale. Pourquoi aucun évêque n’a perçu à quel point ce geste constituerait symboliquement la première pierre du chemin de réparation pour les victimes ? Pourtant ces ministres du Christ, sont rompus aux homélies sur la Passion et les dix commandements. Comment s’exonérer de la réflexion sur le sacrifice de soi en vue de la rédemption de tous ? Pourtant, c’est un thème connu. Peut on imaginer cette réaction : « démissionner ? vous n’y pensez pas ! Le sacrifice de soi, quand on est innocent, ce n’est pas possible, c’est quasiment une preuve de culpabilité ! »
Et c’est bien cela qui peut révolter. Que face à un scandale majeur, touchant l’Eglise entière, personne ne se sente responsable. Mais que face à un scandale personnel, le devoir qui s’impose soit d’abord de défendre sa réputation. Hannah Arendt a théorisé ce mécanisme qu’elle a appelé « la banalité du mal » : il s’agit en réalité de la dilution de la responsabilité individuelle dans un système de corruption beaucoup plus vaste. Quand tout le monde est responsable, plus personne ne l’est. C’est en ce sens que Eichmann, le bourreau nazi, a toujours expliqué qu’il n’était pas responsable puisqu’il n’était pas décisionnaire.
Ceci conduit en réalité à diluer toute la charge morale des actes, en les faisant reposer sur une infinité d’échelons de pouvoir supérieur.
Dans l’Eglise, il y a eu, selon le rapport de la CIASE, des dizaines de milliers de crimes pédophiles commis : cette évidence devrait susciter une véritable onde de choc et faire surgir un impératif moral, celui de la responsabilité. Dans l’évangile, la responsabilité s’accompagne du don, le devoir de charité exige le sacrifice de soi : il s’agit d’endosser la faute morale commise par autrui, par tous les autres. N’est ce pas ce qu’a fait le Christ, qui fut innocent, mais qui consentit au supplice de la Croix pour endosser le mal universel ?
Or on est donc forcés de constater aujourd’hui avec cette nouvelle affaire au plus haut niveau de l’Eglise, qu’entre la réputation et le sacrifice de soi, le choix a été vite fait.
Sabine Faivre