Chronique sur Jean-Paul II et les Français : Roger Etchegaray (partie I)

Outre la passion de montrer le rôle social du catholicisme, le cardinal français était lié au pape polonais par son amour de la lecture et de l'écriture, par l’amour de la montagne, du ski, mais aussi par sa tendance à la plaisanterie et à la bonne humeur. Il convient d'examiner de plus près le rôle qu'Etchegaray a joué dans la vie et le pontificat de Jean-Paul II. Comme il s'agit d'une longue histoire, je l'ai divisée en deux parties : avant et après l'élection de Karol Wojtyła comme pape.
Secrets de la "Ville Éternelle"
Karol Wojtyla, quittant Cracovie pour Rome à l'automne 1946, a reçu l'instruction du recteur du séminaire, le père Karol Kozlowski, d'"étudier Rome elle-même". Apprendre à connaître la capitale du christianisme est aussi "important que les études théologiques", a expliqué le recteur. Wojtyla vivait dans un collège belge, ce qui lui permettait de pratiquer le français au quotidien. Avec les étudiants francophones, il a visité la "Ville Éternelle" sous la conduite de "spécialistes assidus de son histoire et de ses monuments" tels que Jean Maury, auteur du guide "Itinéraires romains" publié en 1950 avec René Percheron. Giovanni Montini, à l'époque haut fonctionnaire du Saint-Siège, a souligné dans la préface du livre que les connaissances de Maury étaient très enrichessantes pour les étudiants. Il ne pouvait pas imaginer que ces visites guidées de Rome seraient aussi le début d'une amitié durable.
Etchegaray, un séminariste du Pays Basque arrivé à Rome en même temps que Wojtyla, a également participé à ces excursions au cours desquelles ils se sont rencontrés. Il faut ajouter que grâce à ses études à Rome, le Polonais s'est spécialisé en théologie de la spiritualité et le Français en droit canonique. Par-dessus tout, ils étaient unis par leur passion pour l'acquisition de connaissances et le ministère pastoral.
La France pays de mission
Il convient de noter que son séjour à Rome a été l'occasion pour Wojtyla de découvrir le travail de l'organisation "Jeunesse Ouvrière Chrétienne". Il assiste aux réunions des sympathisants de cette association et écoute les discours de son fondateur, Joseph Cardijn (1882-1967).
Wojtyla a approfondi sa connaissance de la pastorale des travailleurs au cours de l'été 1947, lors d'un séjour en France et en Belgique. En lisant le livre d'Henri Godin et d'Yvan Daniel, "La France pays de mission", il s'est intéressé aux différentes initiatives pastorales destinées à aller contre la déchristianisation. Il prend connaissance de l'action de La Mission de France, qui regroupe des prêtres qui tendent la main à des personnes religieusement indifférentes ou non croyantes. Il se familiarise avec les activités des prêtres ouvriers, en suivant le travail pionnier du Père Jacques Loew OP à Marseille. Wojtyla a apprécié les efforts de l'Eglise française pour répondre au défi de la sécularisation de la société.
Après son retour des études, les activités de l'Église en Pologne ont été considérablement réduites. La société était soumise à une athéisation programmé. Wojtyla a assuré le suivi pastoral d'individus et de petits groupes d'étudiants et de couples mariés. Wojtyla et Etchegaray ont travaillé dans des conditions différentes, mais avec le même objectif, celui de montrer ce qu'est une foi vivante et quel sens elle peut avoir dans la vie quotidienne.
Le Concile comme un "printemps" au cœur de l'Église
Wojtyla est arrivé au Concile de Vatican II en tant que jeune évêque de l'Église de derrière le rideau de fer, tandis qu'Etchegaray est arrivé en tant que théologien expert et secrétaire pastoral de l'épiscopat français. Tous deux pensaient que c'était un moment d'apprentissage de l'Église. Les évêques et les théologiens ont joué un rôle de premier plan pendant le Concile, non seulement dans la salle du Concile, qui était la basilique Saint-Pierre, mais aussi à l'extérieur, dans de nombreuses réunions et conférences.
Les évêques polonais ont chargé Wojtyla d'assurer la liaison avec l'épiscopat français. Etchegaray devient un guide pour son collègue de Cracovie, l'introduisant à une réunion d'évêques français et facilitant sa connaissance de théologiens tels que Henri de Lubac et Yves Congar. Il plaisantait en disant qu'il était son "lifiter", l'accompagnant sur le chemin de diverses réunions.
Le prêtre basque a été le spiritus movens de réunions importantes inspirées par l'épiscopat français, par exemple, concernant le ministère de l'évêque dans la situation actuelle de l'Église, mais il a également été le secrétaire de réunions informelles, hebdomadaires, de représentants de plus de vingt épiscopats, qui ont eu lieu dans la Domus Mariae. Wojtyla y a pris une part active, grâce à laquelle il s'est fait connaître d'un large cercle d'évêques. Ces réunions concernaient principalement la relation de l'Église au monde moderne.
L'homme est le chemin de l'Église.
Il convient de mentionner qu'au début de 1965, l'archevêque de Cracovie a présenté son propre projet de document pastoral sur l'Église, la future constitution Gaudium et spes. Il est devenu un contrepoids au projet de Pierre Haubtmann, le recteur de l'Institut catholique de Paris. La juxtaposition de ces deux projets peut être considérée comme un moment privilégié d'échange d'expériences entre l'Église française et l'Église polonaise. Le projet du théologien français a été considéré comme une base pour un travail ultérieur plus universel, mais les orientations de Wojtyła ont été prises en compte. Ils peuvent être résumés dans l'affirmation que "l'homme est le chemin de l'Église".
L'Évangile défend la dignité humaine. Le Christ révèle toute la vérité sur l'homme. L'humanisme chrétien devrait être le moteur de l'engagement de l'Église dans la construction d'un monde meilleur.
La vision de l'Église qui, au nom de l'Évangile, va à la rencontre du monde moderne sans perdre son identité, était proche à la fois de Wojtyla et d'Etchegaray. Le Concile Vatican II a eu une profonde influence sur eux. Ils l'ont toujours considéré comme une opportunité plutôt que comme une menace pour l'Église. Leur effort commun durant le pontificat de Jean-Paul II a été de mettre en œuvre Vatican II. Ils étaient convaincus qu'il représentait un programme de renouvellement de l'Église, son "printemps"..., même s'il faut reconnaître que le temps et les conditions n'ont pas souvent été propices à la juste maturation des travaux du Concile.
L'évangélisation dans le monde moderne
Mgr Etchegaray est devenu archevêque de Marseille en 1970, une métropole diversifiée sur le plan ethnique et religieux qui était un important centre industriel et commercial en France. L'année suivante, il prend la tête du tout nouveau Conseil des conférences épiscopales européennes. Il a occupé cette fonction pendant huit années consécutives. Il a maintenu des contacts avec des évêques de derrière le rideau de fer. À cette fin, il a visité la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne et l'URSS. Il a également organisé des rencontres œcuméniques avec des dirigeants de confessions chrétiennes.
En 1975, il assume de nouvelles responsabilités, puisque Etchegaray est élu président de la Conférence épiscopale française. La division de l'Église française entre le courant progressiste, influencé par le marxisme, et le courant traditionnel, dans lequel un rôle visible est joué par les partisans de l'archevêque Marcel Lefebre. Au moment de la crise croissante, Etchegaray n'a pas été guidé par la nostalgie de l'Église de l'histoire passée, mais par le courage de mettre en œuvre les orientations du renouveau du Concile et de surmonter les difficultés actuelles et de confirmer la signification du christianisme dans la vie sociale. Il a également été aidé en cela par l'expérience pastorale de la prélature de La Mission de France, qu'il a présidée. Mentionnons que son frère, le père Jean Etchegaray, était membre de la Mission de France.
De larges contacts, des fonctions à responsabilités et une expérience acquise ont fait de l'archevêque de Marseille une personnalité importante de l'Église catholique. Comme Wojtyla, il acquiert de plus en plus de reconnaissance dans l'Église. Les pasteurs de Marseille et de Cracovie ont participé ensemble à Rome au synode des évêques en 1971, 1974 et 1977 et ont coopéré entre les sessions des synodes en tant que membres du conseil du secrétariat, élus par les évêques. Il est intéressant de noter qu'Etchegaray a recueilli plus de voix que Wojtyla au cours de ces élections.
La foi et la liberté
Wojtyła et Etchegaray se sont également rencontrés à de nombreuses reprises, par exemple lors d'un symposium à Rome en 1975, lors d'un pèlerinage à Piekary Śląskie (un sanctuaire en Pologne, mai 1976) ou lors d'un congrès eucharistique à Philadelphie (août 1976). Etchegaray était également invité à Cracovie, regrettant de ne pouvoir accepter l'invitation de Wojtyła à aller skier car il devait rentrer à Marseille. Ils n'ont donc pas manqué d'occasions de s'informer sur les différences et les similitudes des activités de l'Église en Pologne et en France.
Etchegaray a été impressionné par le synode pastoral de l'archidiocèse de Cracovie, que Wojtyla a organisé pour la mise en œuvre du Vatican II dans son diocèse (1972-1979). Il convient de mentionner que Jean-Paul II a demandé à Etchegaray de l'accompagner à la cathédrale de Wawel lors de la clôture solennelle du synode pendant sa premier visite papale en Pologne. Le Français était conscient des projets ambitieux de son collègue polonais, qui prévoyait que la réception du Conseil se ferait par le biais de synodes aux niveaux métropolitain et national. Tous deux ont vécu pour l'Église et le Conseil. Ils ont construit leur amitié sur cette passion.
Ils ont convenu que la mesure de la grandeur et de la dignité de l'homme est le Christ, mais qu'atteindre la société d'aujourd'hui avec cette vérité est un défi difficile pour l'Église. La question clé est celle de la liberté. Un excès de liberté rend l'homme indifférent à Dieu. En revanche, son manque aigu peut le rendre sensible aux questions spirituelles, comme cela s'est produit, par exemple, dans la Pologne communiste, où la liberté religieuse a été violée et où les gens ont élevé la voix : "Nous voulons Dieu...". Dans cette situation complexe du monde moderne, après la mort de Paul VI et de Jean-Paul Ier, l'Église catholique avait besoin d'un guide éprouvé.
Le pape Wojtyla : "je ne suis pas étonné"
Après l'élection du cardinal de Cracovie en 1978, Etchegaray a admis dans "La Croix" qu'il n'était pas surpris par ce choix. Il a souligné que le pape venait d'Europe de l'Est mais qu'il connaissait bien l'Occident. Il suit les courants de pensée et les aspirations du monde contemporain et, en même temps, il s'en tient à la doctrine de l'Église.
Le pontificat de Jean-Paul II a également marqué un changement dans la vie de Roger Etchegaray et son étroite collaboration avec le pape pendant plus de vingt ans. "Karol Wojtyla, 58 ans, se présenta au peuple de Rome comme 'venant d'un pays lointain' : je n'imaginais pas que ce pape polonais allait nous faire découvrir - et à moi personnellement - des pays encore plus lointains".
La façon dont cela s'est produit, et en quoi consistait leur collaboration, sera abordée dans le prochain article. Retrouver la suite (partie II) en cliquant ici.
Abbé Andrzej Dobrzyński, directeur du Centre de Documentation et d’Etude du Pontificat de Jean Paul II à Rome