A lire ou à relire: "Le Grand Remplacement" (Renaud Camus, 2011)

La lecture du « Grand Remplacement » de Renaud Camus est une expérience spécifique. Pas seulement par les thèses qui y sont développées mais aussi par la qualité d’écriture. L’auteur, né 1946 à Chamalières, est un écrivain prolifique. Il a une centaine de livres à son actif : des romans, des poèmes, un journal annuel, des essais… Multi diplômé, il a été membre du Parti socialiste dans les années 70 et 80, puis proche de Chevènement jusqu’à la fondation de son propre parti en 2002 (le Parti de l’In-nocence), suite au second tour de la présidentielle qui le laisse indécis. A partir de là il met tout son talent littéraire au service d’essais et d’écrits plus politiques.
La véritable rupture s’opère vers la fin des années 2000 quand il publie « Le Communisme du XXIème siècle » (Xenia, 2007), « La Grande Déculturation » (Fayard , 2008), « Abécédaire de l’In-nocence » (David Reinharc, 2010) et « le Grand Remplacement » (David Reinharc, 2011). Il présente dans ces quatre livres l’essentiel de sa pensée, fondée autour de son inquiétude sur le présent et l’avenir de la France.
« Le Grand Remplacement » est particulier car le concept éponyme est devenu incontournable des discours politiques de droite comme de gauche. Certains y adhérent avec passion, d’autres le rejettent avec violence. Le candidat à la présidentielle 2022 Éric Zemmour l’emploie régulièrement, y compris depuis qu’il s’est officiellement déclaré. A gauche, on accuse Renaud Camus d’avoir inspiré des terroristes. Qu’y a-t-il donc de si choquant dans ce livre ?
Autre particularité de cette publication, il ne s’agit pas à proprement parler d’un essai. C’est la compilation de quatre textes, chacun d’une nature différente : la transcription d’une conférence, un discours proclamé lors des Assises sur l’islamisation de l’Europe, une allocution prononcée à l’Assemblée Nationale et un entretien donné au Nouvel Observateur.
Chacun de ses textes a une importance notable, mais le premier est celui qui traite en particulier du Grand Remplacement. Renaud Camus y raconte comment il s’est rendu compte que quelque chose était en train de changer en France : « […] dans de vieux villages de l’Hérault […], apparaissait presque exclusivement une population inédite […] », « c’était cette même impression d’avoir changé de monde sans être sorti de l’ancien. ». Il prend conscience dès lors que le bouleversement démographique (qu’il appelle Grand Remplacement) ne touche pas que le métro parisien ou une poignée de banlieues, mais s’étend à l’ensemble du territoire français.
Il fait dans la foulée le constat de l’aveuglement ou de la malfaisance des médias de masse qui affirment en boucle que « c’est toujours le même peuple et qu’en son sein il n’y a que des Français : que ce sont les Français d’aujourd’hui. ».
Renaud Camus se livre à une charge en règle contre le dévoiement du droit du sol, du droit d’asile et contre la conception universaliste moderne de la Nation, en critiquant la fameuse citation répandue sur les plateaux télés, « Je suis aussi Français que vous » : « Juridiquement cette personne […] a tout à fait raison. Et pourtant, [son dire] est absurde. Plus qu’absurde, il est accablant. ».
Le peuple français est un peuple enraciné, bien défini. « Des individus qui le désirent peuvent s’agréger à un peuple […], mais des peuples qui restent des peuples ne peuvent s’agréger à des peuples. ». L’écrivain attaque par cette phrase la politique migratoire et identitaire des gouvernements successifs depuis un demi-siècle : l’immigration devenue est trop massive et ne s’assimile plus (les torts sont partagés).
Par ailleurs, une partie de cette immigration massive et de sa descendance provoque des « nocences », c’est-à-dire des nuisances (d’où le nom du parti de Camus : le Parti de l’In-nocence), à ne pas confonde avec le mot « innocence ».
Ce concept de nocence se voit dédier un chapitre entier du livre. On pourrait l’inscrire dans le cadre d’une écologie de droite, d’un respect des paysages, de la tranquillité, de l’environnement, de la sécurité du quotidien, du fond existentiel du peuple.
L’analyse de Renaud Camus est pluridimensionnelle. Le déclin civilisationnel se joue sur les plans culturel, scolaire, historique, médiatique, écologique, démographique, migratoire, identitaire et politique. Le Grand Remplacement se déroule en parallèle de la « Grande Déculturation », de la « Décivilisation », de la « nocence » généralisée, du dévoiement de l’antiracisme devenu militant et totalitaire ( « la doxa dogmatico-antiraciste »).
Si l’essayiste voit dans l’islam l’atout maître des peuples récemment immigrés (« l’islam est une religion très dynamique, très aimée de ses fidèles, très naturellement et comme invinciblement portée à la conquête »), il ne tombe pas pour autant dans les théories du complot : « je ne suis pas sûr que quelqu’un, ou une assemblée de stratèges, se soit dit un beau jour : « nous allons conquérir l’Europe » ».
Pour contrebalancer l’islamisation de nos territoires, il appelle à un retour du christianisme tout en étant conscient que « la foi ne se commande pas, hélas. ». A ceux qui veulent lutter par la démographie il répond que notre avance technologique est largement suffisante : « Voyez Israël résistant seul et depuis si longtemps au milieu d’un océan déchaîné de haine, isolé qu’est son peuple parmi dix ou vingt peuples hostiles, à la population infiniment plus nombreuse que la sienne. ». Il considère l’accroissement démographique sans limite comme une puissante nuisance (« nocence »), manifestation de sa fibre écologique (il a voté Noël Mamère au premier tour de l’élection présidentielle de 2002).
Comment expliquer la faiblesse de l’Occident dans ce contexte de déclin depuis cinquante ans ? Renaud Camus ne propose pas de réponse tranchée, mais soupçonne fortement la rupture anthropologique vécue pendant la Seconde Guerre Mondiale et la façon dont elle a été manipulée par des idéologues dogmatiques : « la folie meurtrière d’Hitler a souillé le langage, détourné le sens des mots, changé le cours de la pensée ».
Il accuse aussi « la prépondérance écrasante de l’économique sur le politique ». Nous sommes gouvernés par des technocrates et des gestionnaires, coupés de la continuité historique du pays et du destin de la nation.
Dans la partie intitulée « La Nocence, instrument du Grand remplacement », Renaud Camus évoque la montée de l’insécurité et de ce qu’il convient aujourd’hui de nommer pudiquement les « incivilités » : « la nocence c’est bien sûr la nuisance, au sens écologique du terme, les atteintes à la nature et à la qualité de la vie, qualité de l’air, qualité de l’eau, qualité du paysage, du patrimoine. C’est aussi toutes les atteintes aux personnes et aux bien, les fameuses « incivilités » […] ».
Conséquence sociologique directe ? « En rendant la vie impossible aux indigènes, les nouveaux venus les forcent à fuir, à évacuer le terrain – c’est ce que les Anglo-Saxons appellent le « White Flight », la fuite des blancs – […] ».
Dans la transcription de son entretien au Nouvel Observateur, Renaud Camus livre le programme de son parti politique et donne une définition concise de ce qu’est le Grand Remplacement : « vous avez un peuple, et presque d’un seul coup, en une génération, vous avez à sa place un ou plusieurs autres peuples. […]. Le Grand Remplacement, le changement de peuple, que rend seule possible la Grande Déculturation, est le phénomène le plus considérable de l’histoire de France depuis des siècles, et probablement depuis toujours. ».
Loin du discours médiatique selon lequel nous aurions affaire à une « théorie d’extrême droite », nous sommes en présence, bien au contraire, de l’énoncé de réalités que vivent de nombreux Français sur tout le territoire et pas que d’un point de vue migratoire. Renaud Camus, dans son style littéraire talentueux et sensible, produit une analyse complexe mêlant culture, religion, sociologie, discours dominant, démographie et anthropologie. Réduire sa pensée à la simple dénonciation de l’immigration est malhonnête, tout comme le rendre responsable de certains attentats. Comme l’a rappelé Éric Zemmour lors de son débat contre Bruno le Maire, jeudi 9 décembre 2021 sur France 2, « si un mot et un texte inspirent des attentats, il faut immédiatement interdire le coran ». Quoi qu’il en soit, les livres politiques de Renaud Camus se lisent aisément et ses idées se comprennent d’autant mieux qu’elles sont énoncées clairement et que leur auteur est un excellent utilisateur de la langue française.
Nathaniel GARSTECKA