Les Époux Arnolfini: tentative d'explication (Partie II)

Il y a deux interprétations de la peinture sur bois de Giovanni Arnolfini et sa femme par le peintre primitif flamand Jan van Eyck datant de 1434. La première soutiendrait qu’il s’agit d’un portait de mariage (Panofsky) où même d’un mariage morganatique (Schabaker). La deuxième va dans le sens que les figures représentées sont en fait le peintre lui-même et sa femme.
 Les Époux Arnolfini: tentative d'explication (Partie II)

Résumé:

La présente étude (2ème partie, vous pouvez retrouver la 1ère partie en cliquant ici) propose une approche différente. S’appuyant sur l’artifice pictural qui domine le tableau (la mise en abyme) elle dévoile l’enjeu des connotations que le tableau présuppose. Jan Van Eyck s’est servi d’une symbolique qui elle-même indique la plurivalence et l’ouverture sur de nombreuses pistes d’interprétation, pourtant convergentes. Le portrait des Arnolfini ne peut être interprété uniformément et d’un bloc, non tenant compte de l’esprit de l’époque.  

Quant au décor de la toile, la chambre, tout suggère qu’il s’agit d’une pièce dans laquelle tout est soumis à la future accouchée. Dans ce contexte, la présupposition la plus vraisemblable serait que Costanza est morte post partum. La douleur sur le visage terrifié de Nicolao Arnolfini le confirme. La ligne de fuite qui raccourci l’espace du tableau, prolonge, grâce au miroir convexe, l’étendue narrative jusqu’à l’infini. Elle établit un point vers l’éternité, seule consolation de l’époux en deuil.

 

II.

 

La contextualisation la plus vraisemblable des éléments du toile serait plus facile que ne la prévoyaient les hypothèses citées ci-dessus. La probabilité que ce sont les membres de la famille Arnolfini qui seraient présents dans le portrait, est notamment plus que forte. Celle-ci avait des liens avec le Duché de Bourgogne, en raison du commerce. En empruntant le chemin logique on constate que Le Portrait de Giovanni di Nicolao Arnolfini,[39] réalisé par Jan Van Eyck en 1438, a une physionomie du visage identique au visage de l’homme au portrait des époux Arnolfini en prenant en compte une différence de cinq ans.

Pour formuler l’hypothèse basée sur les raisons les plus sérieuses, il faudrait se tourner vers ce qui est offert par les données biographiques. Alors, on ne devrait stricto sensu prendre en compte que le neveu de Giovanni Arnolfini, Nicolao Arnolfini et sa femme, Costanza Trenta. Elle est morte en 1433 tandis que le portrait du couple a été fait un an plus tard. Ceci indique la possibilité de quelque chose qui constitue par son essence l’antagonisme flagrant des explications qui reposent sur l’acte du mariage ou de la certification formelle de ce dernier, mutatis mutandis.[40] Ce qu’on proposerait c’est qu’il s’agit d’un portrait posthume. Qu’on prenne en compte les constats des dernières recherches menées sur l’identité du couple. Jean-Philippe Postel résume le sujet en question : « Henri James Weale a dans les années 1880 démontré qu’il s’agit de Giovanni Diego Arnolfini et de sa femme Giovanna Cenami. Cette thèse a tenu pendant plus qu’un siècle jusqu’à ce qu’on découvre en 1994 qu’ils se sont mariés en 1347, donc six ans après la mort de Van Eyck et treize ans après la date figurant sur le tableau. (…) Une fois l’hypothèse de Giovanni Diego Arnolfini tombée dans l’eau, on a continué à s’attacher à la famille Arnolfini, parce que c’était très tentant. A la fin on a proposé Giovanni di Nicolao Arnolfini qui vivait à Brugge et avait épousé une jeune femme, Costanza Trenta. Pendant un an on était persuadé que le tableau représentait Giovanni di Nicolao Arnolfini et Costanza Trenta. Puis on s’est aperçu qu’elle est morte en 1433 ».[41] Le fait que Nicolao Arnolfini est celui qui a été représenté sur le portrait n’empêche que Costanza Trenta n’y soit pas. Au contraire, l’analyse qu’on propose donne les arguments en faveur d’un portrait posthume répondant de la façon plus que vraisemblable à la question du message délivré par l’œuvre. L’erreur consistait à ne pas prendre à la lettre le fait : « C’est probablement peu de temps après leur mariage que le peintre les a peints » (Denis, 1982, 124)[42] afin de constater que bien que Costanza soit morte, elle continuait à vivre sous les ombres du souvenir. C’est alors, une année après sa disparition, que Nicolao Arnolfini commande le portrait. Le « je » est indestructible face à n’importe quel arsenal du temps objectif. Malgré toute évidence, on ne disparaît pas sans trace : non omnis moriar. Le portait Arnolfini, le portique fuyant de Van Eyck, repose sur le fait que l’amour conjugal – comme le temps de son vécu – appartient à l’esprit de ceux qui le partagent. Il fait partie du domaine du subjectif qui contredit les paramètres de la réalité objective : les lois de l’univers n’ont rien à faire avec la conscience humaine. Elles sont impuissantes en face de la mémoire active, le substrat ontologique de l’art.

En fait, cela n’était pas pour la première fois que Jan Van Eyck s’aventurait sur la voie du portait posthume. En 1432 il a effectué un portrait commémoratif, à vrai dire un éloge funèbre suggestive dont l’intitulé Souvenir fidèle[43] apostrophe les propriétés du défunt. Le modèle devait être un jurisconsulte, reconnu par ses qualités et appartenant au cercle de la cour du Philippe le Bon, autrement le peintre n’aurait pas entrepris la tâche de perpétuer sa mémoire.

L’utilisation de ce mode de représentation n’est plus d’actualité mais, pendant la période de la Renaissance il n’était pas rare. En 1472, à Urbin, le duc Federico da Montefeltro commanda l’exécution d’un diptyque où sont représentés lui et sa femme Battista Sforza della Francesca. Lorsque Pietro della Francesca peignit les représentations des conjoints, Federico était encore vivant tandis que Battista Sforza ne l’était pas.

Ce n’est qu’en plaçant le portrait parmi les représentations posthumes des figures peintes qu’on peut dévoiler l’enjeu des connotations que le sujet du tableau implique. Le visage de Costanza Trenta resplendit d’une lumière supérieure imprégnée de la grâce. Celle-ci désignerait l’appartenance à l’univers de ceux qui ne sont plus, l’univers, auquel les individus ne peuvent accéder que par une réflexion du souvenir. Pour cette raison Nicolao Arnolfini ne regarde pas le visage de son épouse : c’est ce qu’il ferait sans doute s’il s’agissait en réalité d’un portrait qui prouverait la validité du mariage. Il est même détourné, son visage étant inquiet, ténébreux. Voici la question qui met en relief le mécanisme intrinsèque du tableau : « Qui sont cet homme et cette femme, ne se regardant pas et pourtant paraissant si proches ? ».[44] Comme la Renaissance et l’Humanisme s’alimentaient profondément des sources antiques et de la Bible, il ne serait pas surprenant que la raison du regard détourné ressemblerait à celle que l’on trouve dans le mythe d’Orphée et d’Eurydice ou dans l’histoire biblique de Lot et de sa femme. Les deux mènent au fait que le regard vers l’être qui est déjà parti là où se trouve la majorité des humains, pousse celui-ci pour toujours dans la sphère des disparus. Ne pas échanger de regard avec Costanza Trenta, cela signifierait aux yeux de Giovani Nicolao retenir sa bien-aimée dans la sphère des vivants, au moins dans la réalité que nous procure la fiction de l’art. Orphée qui se méfiait un peu des promesses de Hadès et se retourne pour voir si Eurydice le suit encore, l’a perdue à jamais, par un clin d’œil qu’il a jeté envers elle. Giovani Nicolao pourrait de même appréhender qu’un seul geste de soin ne fasse happer Costanza par le séjour des morts. Cela pourrait expliquer le fait que son regard s’obstine à fixer le vide.

Le jeu des réminiscences ne serait pas sans rapport au miroir. En fait, la réflexion du souvenir est comme un reflet dans le miroir : on voit la chose, bien que l’on ne la regarde pas directement. Le miroir seul peut être la partie inaugurale de la symbolique sans même représenter l’inventaire de la pièce quand le peintre l’a réalisée. Ainsi :« First and foremost, the mirror on the back wall – which, incidentally, could be a work of imagination, as it is significantly larger than mirrors could actually be made to be at this point ».[45] Le miroir seul est l’élément clé de la toile : « The most compelling element we have in the picture ».[46] 

Il détermine la ligne de fuite du portrait, celle qui est le support primaire du message symbolique. « On comprend ici que l’artiste a souhaité construire sa composition à partir d’un axe médian vertical à partir duquel les éléments s’organisent ».[47] La toile est également coupée par une ligne verticale qui en combinaison avec la première représente les axes du système de coordonnées sémantiques. La ligne verticale est indiquée par le lustre dont l’illumination – lors d’un flot de clarté éventuel par la fenêtre – ne comporte qu’un sens symbolique, comme le miroir. La peinture seule est divisée à la verticale et à l’horizontale où la première, indiquée par le lustre correspond au point où les époux se serrent les mains. Ainsi, le message symbolique des deux bougies, dont l’une est consommée par la flamme sereine tandis que l’autre est éteinte, se transmet aux mains de Nicolao et de Costanza. L’un appartient au monde des actualités tandis que l’autre est partie dans le royaume des ombres. Le Christ sur les médaillons est mort du côté de la femme et vivant du côté de l’homme.

La statuette de st. Marguerite, patronne et protectrice surtout dans les affaires d’accouchement, comme la courbure très prononcée du ventre, suggèrent la naissance imminente d’un nouveau membre de la famille Arnolfini. Sans tenir compte de différentes théories qui réfutent le fait que Costanza aurait été enceinte,[48] les circonstances accompagnant la peinture le désignent littéralement. La comparaison avec la sainte Catherine d’Alexandrie dont la robe est bombée de la façon pareille[49] ne donne notamment pas de preuve nécessaire que Costanza Trenta, de même, ne serait pas enceinte. Le fait que la première a une telle et telle courbure de la robe ne permet pas d’en faire une prémisse et conclure le syllogisme par le corolaire que chaque femme qui porte la robe d’une manière pareille, est ou n’est pas en état de gestation. Ce serait une conclusion prématurée. Il faudrait se servir du « bon sens » (Descartes, 1824, 121) : une sainte, vierge et martyre, ne saurait être enceinte : au contraire une jeune femme qui porte l’alliance et dont le portait est presque à l’unanimité reconnu comme portrait de mariage pourrait bien l’être.

Le critère de « bon sens » doit intervenir de même dans le cas de L’Annonciation,[50] diptyque dont seulement deux volets sont préservés. Vierge Marie, qui est enceinte sine dubio a le même type de ceinture que Costanza Trenta. Elle l’enserre au-dessus de sa poitrine, formant, avec les plis, la même protubérance de la partie abdominale qui caractérise le portrait des Arnolfini.

On a souvent comparé le ventre proéminent de Costanza Trenta aux représentations des saintes. Il s’agit notamment de la comparaison avec st. Catherine et st. Christine,[51] vierges et martyres dont les tenues vestimentaires sont pareilles à celle qu’on voit chez l’épouse Arnolfini : les deux portent la ceinture qui fait ressortir le ventre.

Pourtant, il y a une différence essentielle. Sainte Catherine tient le livre qu'elle lit dans sa main. Sa main repose sur les plis de ses vêtements et elle fait face à son visage. Les plis du vêtement ne sont qu'un support statique : ils permettent de tenir le livre. Sainte Christine a les bras croisés sur le ventre que couvre la robe froncée. Les plis du vêtement remplissent une tâche similaire à celle de sainte Catherine : ils soutiennent les bras afin qu’ils ne retombent. Sinon, les mains sont librement abaissées le long du corps et donnent une impression de résignation, d'indifférence face au destin. Chez Costanza Trenta, cependant, la position de la main est configurée d'une autre manière. Sa paume, à la différence de deux saintes est tournée vers l’intérieur du corps. Le geste de la main, posée sur le ventre, est protecteur. On le comprend sans difficulté : la mère touche son enfant et l'apaise. C’est à la fois un signe de fierté.

De plus, il faut signaler que la comparaison du protocole d’équipement de la pièce dans La Naissance de Saint Jean-Baptiste[52] et le portrait des époux Arnolfini, suggère plus qu’ostensiblement qu’il s’agit d’une pièce dans laquelle tout est soumis à la future accouchée. Dans ce contexte, la présupposition la plus vraisemblable serait que Costanza est morte post partum. Ce serait une hypothèse qui concerne les modalités de son départ, constituant ainsi un fait en soi.

Celui-ci implique la question de l’enfant. La statuette de sainte Marguerite est un indice plus que révélateur. La sainte est invoquée pour une délivrance, en particulier par les femmes enceintes. Etant donné le fait que « Le mariage Arnolfini resta sans enfants » (Rynck, 2004, 29) on conclurait à la nécessité d’une perte double. Cette hypothèse expliquerait la terrible souffrance sur le visage du commanditaire. On est en face d’une douleur, d’un déchirement qu’on peut sentir physiquement, sous forme d’une maladie : « Sa peau est pâle et il est très maigre, voir chétif, avec des traits marqués il pourrait presque sembler malade (on ne peut voir s’il a des cheveux) ».[53] Giovanni Nicolao incarne l’exact opposé d’une figure qui s’apprêterait à célébrer son mariage, resplendissant d’émotions, de convivialité, dans une ambiance détendue. Blême et cireux, le « visage terrifié »[54] hante par ce qu’il exprime. Il est imprégné d’une tristesse générale, d’une noire mélancholie comme s’il traversait un passage à vide.[55] Le jeune homme pense au passé : la nostalgie le tourmente, il semble avoir perdu toute motivation pour avancer. Un mal de vivre l’asservit, visiblement. Il reste prostré, une anxiété inhabituelle le domine, avec des difficultés due au moment de la double séparation. Son visage réfléchit le trouble et invite aux envois à un niveau de compréhension supérieure. Comme les yeux sont considérés être le miroir de l’âme, on y voit l’angoisse qui ne pourrait s’apaiser qu’au bout de l’éternité. C’est à ce qu’invite la surface polie installé derrière le dos de deux protagonistes, l’espace obnubilé de l’avenir.

Ce ne serait pas sans rapport aux médaillons sur la bordure du miroir. Dans les petits cadres arrondis figurent les scènes de la dernière journée du Christ sur terre. L’ensemble correspond infailliblement à l’état d’âme de Nicolao Arnolfini : c’est sur ce qu’il appuie le reste de l’espoir, afin que la reviviscence traverse de nouveau sa pensée. La Passion du Christ est notamment une entité bipolaire : elle contient la souffrance et la mort, comme la résurrection et la vie éternelle. Jan Van Eyck la plaça dans la ligne horizontale qui par la verticale du lustre et du contact des mains des époux unit le monde du vivant avec le monde de l’éternel ou de l’éternel vivant. Il s’agit du monde post festum, du monde au-delà, quel qu’il soit et dans la mesure dans laquelle il existe, s’il existe. Si à l’échelle de la modernité, l’au-delà est quelque chose d’a priori impensable, la continuité de l’existence, indépendamment de la mortalité du corps, était au temps de Jan Van Eyck acceptée. Au Moyen-Âge, dont la Renaissance du Nord était héritière, il n’était pas possible de concevoir, même formellement, l’inexistence de Dieu.[56]

On pourrait donc présupposer que les figures assorties à la bordure du miroir suggèrent l’éternité, reconfigurée par l’imagination de l’artiste. C’est le miroir, l’œil, en forme de l’objet sphérique vers lequel convergent les lignes structurant le tableau : « L’œil de Dieu »[57] qui est à la fois l’objet à travers lequel on regarde celui qui (nous) regarde. Le miroir est l’objet scopique qui relie le domaine des vivants au royaume de la mort : « In art of the period, mirrors like that of the Arnolfini are also sometimes identified as mirrors of death - a further element in the repertoire of memento mori. The idea here is that mirrors tell the truth about life in the mirror we are nothing but this

transient being ».[58] En conséquence, le miroir à l’époque revêtait parfois le sens théophanique, pareil à celui qui caractérise les icȏnes dans l’orthodoxie. C’est-à-dire que le miroir était un signe ayant un rapport de ressemblance avec la réalité sacrée à laquelle il renvoyait. C’était une réalité iconique, le simulacre du transcendantal. « Contemporary documents suggest that mirrors were provided to pilgrims to certain religious shrines who used them there to capture in the glass the reflections of venerated relics or reliquaries. As signs of holiness, these mirrors would then be presented to local churches, where their remembered reflection would bestow testimonial power on a new location » (Seidel, 1993, 143-144).[59]  

Il est dans la nature du miroir de transsubstantier le point de vue qu’adopte l’œil humain : ce qui est à l’envers devient en conséquence ce qui est à l’endroit. Bien que les miroirs réfléchissent les rayons de manière symétrique et inversent l'image de l'objet de droite à gauche, le miroir bombé dans le portrait Arnolfini effectue une transformation particulière. Celle-ci laisse entrevoir les « accidents » qui surgissent comme conséquence de l’image déformée par le miroir. L’altération concerne les mains des époux, la peau et le visage de l’épouse et le chien. On sous-entend que c’est l’effet voulu de Van Eyck, dans le but de transmettre un message. Etant donné l’ampleur de la déformation le changement opéré doit impliquer des éléments indispensables quant à la compréhension de l’ensemble.

On remarque alors que dans cet envers du décor, les époux ne se tiennent plus la main. En fait, les mains disparaissent. Au premier plan du tableau, celui qui n'est pas reflété par le miroir, Costanza Trenta a sa main gauche posée sur le pli du manteau, en-dessous de la ceinture. La main est déguisée par le surcout dont l’étoffe intérieure est cousue de fourrure d’hermine. Son pelage d’hiver contraste avec la manche bleue du doublet sur le fond vert. C’est la couleur blanche qui, projetée à travers le miroir, met en relief le fait que la ligne de la fourrure passe ininterrompue du haut vers le fond donnant la place au bras, sans qu’il y ait une partie renflée. La ligne en blanc est droite, jusqu’à la fin. Même si Costanza Trenta tenait sa main fermement contre le corps, le renflement, si minime qu’il soit, devrait être visible. Il ne l’est pas ; pourtant il l’est quand on prend en considération le côté recto du tableau. On constaterait de même pour l’homme, couvert par une huque de velours, dont les bords sont aussi garnis de fourrure. Là, l’absence du renflement est d’autant plus visible puisqu’il s’agit d'un homme avec une constitution corporelle plus forte qui concerne également les membres (les bras).

Le portrait présente l’alliance des époux ; l’histoire de l’art est unanime sur ce sujet. Toutes les recherches concordent davantage que ce sont les mains dont la jonction est le symbole le plus spécifique du tableau. C’est un signe fort, foisonnant de références. Les mains sont mutuellement offertes, elles tendent l’une vers l’autre dans le sentiment d’affection et d’attachement. Se prendre par la main fait ressentir une proximité physique ; les Arnolfini se transmettent de la tendresse et de l’empathie.

« L’œil de Dieu » toutefois réfléchit une situation changée. Les époux ne forment plus un couple, ils sont nettement séparés, étant rangée à part, l’un et l’autre, dans un espace qui n’est plus saturé de leur présence. Restés sans contact mutuel qu’assurent les mains, ils paraissent de trop. C’est parce que « Le miroir », la théophanie de l’éternité « nous donne la possibilité de voir ce que nous ne pouvons pas voir ».[60] Ce qu’on ne peut pas voir est suggéré par l’intuition créatrice. Le dualisme foncier de la nature humaine veut qu’on coexiste par rapport aux deux principes, celui du sensible et celui du spirituel. Au temps de Van Eyck, l’actualité de l’existence se rattachait nécessairement à l’essence de Dieu. Elle pourrait bien le faire encore, au moment où nous écrivons. L’homme dépend de la source de l’être qui est ineffable et inconnaissable. Tout ce qui existe est sujet à cette logique bipolaire qui établit la structure ontologique. Cela concerne même la disposition de l’espace géométrique d’une toile : « Le ton religieux est omniprésent dans cette scène. Il se manifeste par divers aspects. L’aspect structurel du tableau est déjà en lui-même une évocation de la perfection divine, puisque tout est rassemblé ici de manière extrêmement rationnelle et de même coup cette axe qui traverse la composition de manière puissante révèle aussi la présence divine. C’est comme un fil qui serait tendu en direction du ciel ».[61] C’est la ligne qui se trace dans le miroir. Celui-ci constitue la mise en abyme où dans les images de la réalité s’incrustent celles qui sont libérées de circonstances fortuites, des éventualités qui disposent du sort des humains. La mise en abyme met en relief le raccourci de la perspective qui comprime l’étendue de la toile. Les figures qui se reflètent à l’envers, au moyen de l’axe vertical, passent à la mode de l’existence qui les rapproche de l’éternité, d’un espace mal connu, opaque, tel que nous est davantage suggéré par le « sfumato » dissimulant encore les images réfléchies dans le miroir. Les Arnolfini se découplent. Les mains qui les relieraient ne seraient ici qu’un paralogisme. Consanza Trenta est notamment passée au niveau supérieur, de point de vue ontologique. Etant encore en période de transition, elle revêtira bientôt un corps nouveau, séparé à jamais de celui de son mari. Elle ne lui est plus fidèle, dans le sens étymologique du mot. Elle ne peut pas l’être puisqu’elle n’est plus.

L’anéantissement de la figure de l’épouse ainsi que de sa peau présente une mise en évidence particulière de la séparation définitive. Le visage de Costanza, tourné de deux tiers ne laisse pas voir une partie minime de la chair, tandis que la nuque de Giovanni Nicolao est bien visible.  A première vue ce serait une contradiction. Le chapeau de l’homme in recto recouvre complétement le col de la chemise, sans laisser transparaitre un centimètre carré de la peau. De l’autre côté, on devrait voir au moins le bout du nez ainsi qu’une partie de la joue de l’épouse, étant donné que le miroir devrait étirer en longueur les formes du corps, présentées devant le point de fuite du tableau. Il n’en est pourtant rien. Cette antinomie ne se dissout que en poursuivant la ligne de l’interprétation qui insiste sur la logique d’un portrait posthume. L’effacement de la chair est le signe plus que visible du passage à l’au-delà, vers l’éternité. Sine ira et studio, la figure de Costanza projetée par le miroir, fait penser à un fantôme, habillé de vêtements.  

C’est pour même raison que la mise en abyme implique la disparition du chien. Connote-t-il la fidélité conjugale ? Oui. Son absence serait une sorte de jeu de dupe par laquelle le peintre voudrait mettre en garde le commanditaire du tableau, en raison de la prétendue inconstance ?[62] Non, C’est plus qu’improbable. Giovanni Nicolao n’est guère un prince des cocus, si amusante que paraisse cette parabole.

La fonction du chien, en particulier, est de conduire les âmes des défunts, à s’effacer en les effaçant : « La première fonction mythique du chien, universellement attestée, est celle de psychopompe, guide de l’homme dans la nuit de la mort, après avoir été son compagnon dans le jour de la vie ». Il disparaît comme symbole de fidélité parce la mort détruit tout ce qui est terrestre, le mariage en premier lieu. Il n’est plus question d’être fidèle. Le chien est le signe avant-coureur de la mort, il est la divinité tributaire de la disparition, avant tout de celle d’une jeune femme, arrachée du quotidien : « Il n’est pas sans doute une mythologie qui n’ait associé le chien à la mort, aux enfers, au monde du dessous, aux empires invisibles que régissent les divinités chthoniennes ou séléniques. Le symbole très complexe du chien est donc, à première vue, lié à la trilogie des éléments terre – eau – lune dont on connaît la signification occulte, femelle, tout à la fois végétative, sexuelle, divinatoire, fondamentale, tout aussi bien pour le concept d’inconscient que pour celui de subconscient ».[63]

Plus loin qu’on avance dans l’abîme du miroir, plus opaques deviennent les objets. Au fond du champ du visible on entrevoit les deux personnes, tournées l’une vers l’autre. Il est inutile de vouloir deviner leurs identités : le peintre a soigneusement évité tout indice qui pourrait permettre une singularisation quelconque. La figure en bleu représente-elle le peintre ? Néanmoins, comme à propos de La Vierge au chanoine Van der Paele[64] où la surface polie sur la tranche du bouclier dans le dos de saint Georges serait censée réfléchir l’image du peintre, on ne peut qu’établir : « It is not paint precisely enough to determine that ».[65] Ceci est d’autant plus vrai que la figure en bleu qui serait censée représenter le peintre ne porte pas l’instrument de son métier, le pinceau. Or elle le porterait dans le tableau La Vierge au chanoine Van der Paele [66] ce qui n’est pas vraisemblable puisque tout pinceau, si minime qu’il soit, est invisible sur l’arrière fond de la tranche.[67] De tout évidence, on ne l’aperçoit pas.

Si le peintre a laissé les deux figures non-identifiées en ce qui concerne l’individualisation de leurs visages, il y a d’autres marques distinctives qui les caractérisent. Connaissant la sensibilité de Van Eyck on pourrait présupposer que cela n’était pas sans intention. En fait, le trait pertinent des figures, c’est qu’elles resplendissent de deux couleurs différentes. Leur éclat est – même à une telle distance du point de fuite – surprenant. Les personnages sont couverts du bleu et du rouge dont les teints s’opposent. Si on ne considère que les couleurs, l’unique élément qui présente un point de repère, on pourrait toutefois constater que c’est un guide fiable. Les couleurs sont riches de signification. « Elles symbolisent l’espace, le bleu, la dimension verticale ; le rouge la dimension horizontale, plus clair à l’orient, plus sombre à l’occident » (Chevalier, Gheerbrant, 1982, 294). Les deux figures qui se regardent marquent les deux dimensions de l’intervalle. La ligne de fuite est mise en relief par la coloration des objets qui se retrouvent sur l’axe médian, superposés l’un sur l’autre au point où convergent les regards. Ce sont le siège et le miroir, placé en dessus de lui. Ils composent les deux extrémités de la ligne horizontale, « l’occident et l’orient » du tableau. La tapisserie du siège et le coussin sont recouverts de rouge sombre, plus foncé que n’est la couleur du lit. Le même lit, réfléchi par le miroir,[68] est stylisé en rouge écarlate dont le teint se différencie ostensiblement de son originel de côté recto. Si l’un est « à l’orient », l’autre appartient « à l’occident ». Van Eyck s’est servi du langage symbolique afin de renforcer la distance entre les deux bouts du tableau ce qui lui a permis de prolonger la perspective, en la transcendant à l’infini, par le biais de l’eschatologie qu’indiquent les médaillons sur la bordure. Les figures montrent le chemin qui passe en deux directions. L’image du miroir est notamment une image à l’envers. L'occident et l’orient sont inversés. L'un peut être l'autre et vice versa. De même que l’autre binôme : la vie, derrière, c’est toujours la mort. Celle-ci, cependant, peut être le début d'une nouvelle existence, celle dans l'éternité. C’est dont témoigne via crucis incrusté dans les médaillons. Elle indique le chemin que vient d’emprunter Costanza Trenta.

La figure en bleu est, elle aussi, revêtue d’un symbolisme fort. Elle marque la verticalité et la profondeur, par l’analogie avec le ciel et l’eau, deux signes de référence, servant à se situer. La couleur bleue surpasse, pourtant, le sensible : « Le bleu est la plus profonde des couleurs : le regard s’y enfonce sans rencontrer d’obstacle et s’y perd à l’infini, comme devant une perpétuelle dérobade de la couleur. Le bleu est le plus immatérielle des couleurs : la nature ne le présente que fait de transparence, c’est-à-dire de vide accumulé, vide de l’eau, vide du cristal ou du diamant. Le vide est exact, pur et froid. (…) Les mouvements et les sons, comme les formes disparaissent dans le bleu, s’y noient, s’y évanouissent comme l’oiseau dans le ciel ».[69]

Les médaillons sont reliés par l’image centrale projetée à travers le miroir par un cercle en bleu. Le cercle est un des emblèmes les plus pertinents de l’éternité ; pourtant : comme il est coupé par les traits rouges, perpendiculaires à la ligne du cercle, on comprend que l’actualité de l’univers des humains est soumise au hasard, à la chance. Nous sommes et nous ne sommes pas. Nous nous évanouissons dans l’éternité ; nous disparaissons dans le bleu, dans la transparence qui est de tous les temps.

La versatilité symbolique du portrait Arnolfini dont le moteur principal est le miroir convexe, indique en soi que l’auteur a crypté plusieurs messages complémentaires dans la toile. Jan Van Eyck s’est servi d’une symbolique qui elle-même indique la plurivalence et l’ouverture sur de nombreuses pistes d’interprétation, pourtant convergentes. Le portrait des Arnolfini ne peut être interprété uniformément et d’un bloc, non tenant compte de l’esprit de l’époque. Approcher l’inconnaissable de l’amour, de la vie et de la mort n’a jamais impliqué de réponses définitives. L’illusion serait de penser que ce ne soit pas le cas dans les temps modernes.  

Retrouvez la 1ère partie en cliquant ici

Boštjan Marko Turk, Université de Ljubljana, Slovénie

L’auteur dédie l’article à la mémoire d’Ante Glibota, vice-président de l’Académie européenne des sciences, des arts et des lettres

 

[39] Cf : https://artsartistsartwork.com/jan-van-eyck-portrait-of-giovanni-di-nicolao-arnolfin, consulté le 31 janvier, 2021.

[40] Cf : Hall, Panofsky et allii, cités au cours du texte.

[41] Cf :  Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

[42] Valentin Denis, Van Eyck, Fernand Nathan, Paris, 1982.

[43] Cf : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6a/Jan_van_Eyck_-_L%C3%A9al_Souvenir_-_National_Gallery,_London.jpg, consulté le 31 janvier 2021.

[44] Sous la toile – Le mystère des époux Arnolfini. Youtube 19 juillet 2019.

[47] Le musée imaginé – Le musée confiné, 1 – Jan Van Eyck – Les époux Arnolfini. Youtube le 29 avril 2020.

 

[48] Cf : « But she is actually not pregnant », in Dave Drapak, DRAPAK.CA, Art analysis of Jan Van Eyck The Arnolfini Portrait from 1434. Youtube le 12 avril 2020. Et : « Ce n’est pas une dame enceinte que Giovanni Arnolfini doit épouser à toute vitesse », in J.E. Berger, Les clefs du regard – Jan Van Eyck. Youtube le 14 février 2013. Nous donnons deux exemples les plus prononcés contre l’éventuelle grossesse de Mme Arnolfini.  

 

[50] Cf. : https://www.pinterest.com.au/pin/448741550352981863/, consulté le 2 février 2021.

[51] Cf. : https://lucascranach.org/UK_NGL_6511-2/image, consulté le 1er février, 2021.

[52] Cf. : https://fr.wahooart.com/A55A04/w.nsf/O/BRUE-8EWK8U, consulté le 1er février 2021.

[53] Miroir dans l'art – Les époux Arnolfini – Jan Van Eyck. Youtube 3 juin 2018.

[54] Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

 

[55] La détresse de Giovanni Nicolao rappelle, mutatis mutandis, l'état d'Orphée, affaibli et languissant après la perte de son amour. Cf : « Apres la seconde mort d'Eurydice, et son passage par les Enfers, Orphée se révèle beaucoup plus fragile. » (Brunel, 1998, 1136).

Orphee, Dictionnaire des mythes litteraires, Rocher, sous la direction de Pierre Brunel, Paris, 1988, p. 1136

 

[56] Cf : « Le moyen âge, siècle de la foi la plus absolue, de l’universelle chrétienté » (Aury, 1997, 3). (AURY, Dominique, « Introduction », in Anthologie de la poésie religieuses française, Gallimard, Paris, 1997.

[57] Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

[58] Margaret L. Koster, The Arnolfini double portrait : a simple solution, Apollo, 158 (99), pages 3–14, septembre 2003. Cf : https://www.thefreelibrary.com/The+Arnolfini+double+portrait%3A+a+simple+solution.-a0109131988, consulté le 3 février 2021.

 

 

[59] SEIDEL, Linda, Jan van Eyck's Arnolfini Portrait, Cambridge University Press, Cambridge, 1993.

[60] L’Art en partage l'Art en voyage - Les époux Arnolfini van Eyck. Youtube le 22 mars 2020.

[61] Le musée imaginé – Le musée confiné, 1 – Jan Van Eyck – Les époux Arnolfini. Youtube le 29 avril 2020.

 

[62] L'argument de l'infidélité, largement soutenu par J.P. Postel, est en soi contradictoire. Giovanni Nicolao Arnolfini aurait commandé la toile afin de rendre publique l’infidélité de son épouse ? Et de se faire la fable et la risée de tout le monde ? Jan Van Eyck aurait réalisé le portrait conjugal, y compris l’enjeu des symboles, afin d’avertir Giovanni Nicolao de l’infidélité de son épouse ?

[63] Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 239.

 

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REKLAMA

Les Époux Arnolfini: tentative d'explication (Partie II)

Il y a deux interprétations de la peinture sur bois de Giovanni Arnolfini et sa femme par le peintre primitif flamand Jan van Eyck datant de 1434. La première soutiendrait qu’il s’agit d’un portait de mariage (Panofsky) où même d’un mariage morganatique (Schabaker). La deuxième va dans le sens que les figures représentées sont en fait le peintre lui-même et sa femme.
 Les Époux Arnolfini: tentative d'explication (Partie II)

Résumé:

La présente étude (2ème partie, vous pouvez retrouver la 1ère partie en cliquant ici) propose une approche différente. S’appuyant sur l’artifice pictural qui domine le tableau (la mise en abyme) elle dévoile l’enjeu des connotations que le tableau présuppose. Jan Van Eyck s’est servi d’une symbolique qui elle-même indique la plurivalence et l’ouverture sur de nombreuses pistes d’interprétation, pourtant convergentes. Le portrait des Arnolfini ne peut être interprété uniformément et d’un bloc, non tenant compte de l’esprit de l’époque.  

Quant au décor de la toile, la chambre, tout suggère qu’il s’agit d’une pièce dans laquelle tout est soumis à la future accouchée. Dans ce contexte, la présupposition la plus vraisemblable serait que Costanza est morte post partum. La douleur sur le visage terrifié de Nicolao Arnolfini le confirme. La ligne de fuite qui raccourci l’espace du tableau, prolonge, grâce au miroir convexe, l’étendue narrative jusqu’à l’infini. Elle établit un point vers l’éternité, seule consolation de l’époux en deuil.

 

II.

 

La contextualisation la plus vraisemblable des éléments du toile serait plus facile que ne la prévoyaient les hypothèses citées ci-dessus. La probabilité que ce sont les membres de la famille Arnolfini qui seraient présents dans le portrait, est notamment plus que forte. Celle-ci avait des liens avec le Duché de Bourgogne, en raison du commerce. En empruntant le chemin logique on constate que Le Portrait de Giovanni di Nicolao Arnolfini,[39] réalisé par Jan Van Eyck en 1438, a une physionomie du visage identique au visage de l’homme au portrait des époux Arnolfini en prenant en compte une différence de cinq ans.

Pour formuler l’hypothèse basée sur les raisons les plus sérieuses, il faudrait se tourner vers ce qui est offert par les données biographiques. Alors, on ne devrait stricto sensu prendre en compte que le neveu de Giovanni Arnolfini, Nicolao Arnolfini et sa femme, Costanza Trenta. Elle est morte en 1433 tandis que le portrait du couple a été fait un an plus tard. Ceci indique la possibilité de quelque chose qui constitue par son essence l’antagonisme flagrant des explications qui reposent sur l’acte du mariage ou de la certification formelle de ce dernier, mutatis mutandis.[40] Ce qu’on proposerait c’est qu’il s’agit d’un portrait posthume. Qu’on prenne en compte les constats des dernières recherches menées sur l’identité du couple. Jean-Philippe Postel résume le sujet en question : « Henri James Weale a dans les années 1880 démontré qu’il s’agit de Giovanni Diego Arnolfini et de sa femme Giovanna Cenami. Cette thèse a tenu pendant plus qu’un siècle jusqu’à ce qu’on découvre en 1994 qu’ils se sont mariés en 1347, donc six ans après la mort de Van Eyck et treize ans après la date figurant sur le tableau. (…) Une fois l’hypothèse de Giovanni Diego Arnolfini tombée dans l’eau, on a continué à s’attacher à la famille Arnolfini, parce que c’était très tentant. A la fin on a proposé Giovanni di Nicolao Arnolfini qui vivait à Brugge et avait épousé une jeune femme, Costanza Trenta. Pendant un an on était persuadé que le tableau représentait Giovanni di Nicolao Arnolfini et Costanza Trenta. Puis on s’est aperçu qu’elle est morte en 1433 ».[41] Le fait que Nicolao Arnolfini est celui qui a été représenté sur le portrait n’empêche que Costanza Trenta n’y soit pas. Au contraire, l’analyse qu’on propose donne les arguments en faveur d’un portrait posthume répondant de la façon plus que vraisemblable à la question du message délivré par l’œuvre. L’erreur consistait à ne pas prendre à la lettre le fait : « C’est probablement peu de temps après leur mariage que le peintre les a peints » (Denis, 1982, 124)[42] afin de constater que bien que Costanza soit morte, elle continuait à vivre sous les ombres du souvenir. C’est alors, une année après sa disparition, que Nicolao Arnolfini commande le portrait. Le « je » est indestructible face à n’importe quel arsenal du temps objectif. Malgré toute évidence, on ne disparaît pas sans trace : non omnis moriar. Le portait Arnolfini, le portique fuyant de Van Eyck, repose sur le fait que l’amour conjugal – comme le temps de son vécu – appartient à l’esprit de ceux qui le partagent. Il fait partie du domaine du subjectif qui contredit les paramètres de la réalité objective : les lois de l’univers n’ont rien à faire avec la conscience humaine. Elles sont impuissantes en face de la mémoire active, le substrat ontologique de l’art.

En fait, cela n’était pas pour la première fois que Jan Van Eyck s’aventurait sur la voie du portait posthume. En 1432 il a effectué un portrait commémoratif, à vrai dire un éloge funèbre suggestive dont l’intitulé Souvenir fidèle[43] apostrophe les propriétés du défunt. Le modèle devait être un jurisconsulte, reconnu par ses qualités et appartenant au cercle de la cour du Philippe le Bon, autrement le peintre n’aurait pas entrepris la tâche de perpétuer sa mémoire.

L’utilisation de ce mode de représentation n’est plus d’actualité mais, pendant la période de la Renaissance il n’était pas rare. En 1472, à Urbin, le duc Federico da Montefeltro commanda l’exécution d’un diptyque où sont représentés lui et sa femme Battista Sforza della Francesca. Lorsque Pietro della Francesca peignit les représentations des conjoints, Federico était encore vivant tandis que Battista Sforza ne l’était pas.

Ce n’est qu’en plaçant le portrait parmi les représentations posthumes des figures peintes qu’on peut dévoiler l’enjeu des connotations que le sujet du tableau implique. Le visage de Costanza Trenta resplendit d’une lumière supérieure imprégnée de la grâce. Celle-ci désignerait l’appartenance à l’univers de ceux qui ne sont plus, l’univers, auquel les individus ne peuvent accéder que par une réflexion du souvenir. Pour cette raison Nicolao Arnolfini ne regarde pas le visage de son épouse : c’est ce qu’il ferait sans doute s’il s’agissait en réalité d’un portrait qui prouverait la validité du mariage. Il est même détourné, son visage étant inquiet, ténébreux. Voici la question qui met en relief le mécanisme intrinsèque du tableau : « Qui sont cet homme et cette femme, ne se regardant pas et pourtant paraissant si proches ? ».[44] Comme la Renaissance et l’Humanisme s’alimentaient profondément des sources antiques et de la Bible, il ne serait pas surprenant que la raison du regard détourné ressemblerait à celle que l’on trouve dans le mythe d’Orphée et d’Eurydice ou dans l’histoire biblique de Lot et de sa femme. Les deux mènent au fait que le regard vers l’être qui est déjà parti là où se trouve la majorité des humains, pousse celui-ci pour toujours dans la sphère des disparus. Ne pas échanger de regard avec Costanza Trenta, cela signifierait aux yeux de Giovani Nicolao retenir sa bien-aimée dans la sphère des vivants, au moins dans la réalité que nous procure la fiction de l’art. Orphée qui se méfiait un peu des promesses de Hadès et se retourne pour voir si Eurydice le suit encore, l’a perdue à jamais, par un clin d’œil qu’il a jeté envers elle. Giovani Nicolao pourrait de même appréhender qu’un seul geste de soin ne fasse happer Costanza par le séjour des morts. Cela pourrait expliquer le fait que son regard s’obstine à fixer le vide.

Le jeu des réminiscences ne serait pas sans rapport au miroir. En fait, la réflexion du souvenir est comme un reflet dans le miroir : on voit la chose, bien que l’on ne la regarde pas directement. Le miroir seul peut être la partie inaugurale de la symbolique sans même représenter l’inventaire de la pièce quand le peintre l’a réalisée. Ainsi :« First and foremost, the mirror on the back wall – which, incidentally, could be a work of imagination, as it is significantly larger than mirrors could actually be made to be at this point ».[45] Le miroir seul est l’élément clé de la toile : « The most compelling element we have in the picture ».[46] 

Il détermine la ligne de fuite du portrait, celle qui est le support primaire du message symbolique. « On comprend ici que l’artiste a souhaité construire sa composition à partir d’un axe médian vertical à partir duquel les éléments s’organisent ».[47] La toile est également coupée par une ligne verticale qui en combinaison avec la première représente les axes du système de coordonnées sémantiques. La ligne verticale est indiquée par le lustre dont l’illumination – lors d’un flot de clarté éventuel par la fenêtre – ne comporte qu’un sens symbolique, comme le miroir. La peinture seule est divisée à la verticale et à l’horizontale où la première, indiquée par le lustre correspond au point où les époux se serrent les mains. Ainsi, le message symbolique des deux bougies, dont l’une est consommée par la flamme sereine tandis que l’autre est éteinte, se transmet aux mains de Nicolao et de Costanza. L’un appartient au monde des actualités tandis que l’autre est partie dans le royaume des ombres. Le Christ sur les médaillons est mort du côté de la femme et vivant du côté de l’homme.

La statuette de st. Marguerite, patronne et protectrice surtout dans les affaires d’accouchement, comme la courbure très prononcée du ventre, suggèrent la naissance imminente d’un nouveau membre de la famille Arnolfini. Sans tenir compte de différentes théories qui réfutent le fait que Costanza aurait été enceinte,[48] les circonstances accompagnant la peinture le désignent littéralement. La comparaison avec la sainte Catherine d’Alexandrie dont la robe est bombée de la façon pareille[49] ne donne notamment pas de preuve nécessaire que Costanza Trenta, de même, ne serait pas enceinte. Le fait que la première a une telle et telle courbure de la robe ne permet pas d’en faire une prémisse et conclure le syllogisme par le corolaire que chaque femme qui porte la robe d’une manière pareille, est ou n’est pas en état de gestation. Ce serait une conclusion prématurée. Il faudrait se servir du « bon sens » (Descartes, 1824, 121) : une sainte, vierge et martyre, ne saurait être enceinte : au contraire une jeune femme qui porte l’alliance et dont le portait est presque à l’unanimité reconnu comme portrait de mariage pourrait bien l’être.

Le critère de « bon sens » doit intervenir de même dans le cas de L’Annonciation,[50] diptyque dont seulement deux volets sont préservés. Vierge Marie, qui est enceinte sine dubio a le même type de ceinture que Costanza Trenta. Elle l’enserre au-dessus de sa poitrine, formant, avec les plis, la même protubérance de la partie abdominale qui caractérise le portrait des Arnolfini.

On a souvent comparé le ventre proéminent de Costanza Trenta aux représentations des saintes. Il s’agit notamment de la comparaison avec st. Catherine et st. Christine,[51] vierges et martyres dont les tenues vestimentaires sont pareilles à celle qu’on voit chez l’épouse Arnolfini : les deux portent la ceinture qui fait ressortir le ventre.

Pourtant, il y a une différence essentielle. Sainte Catherine tient le livre qu'elle lit dans sa main. Sa main repose sur les plis de ses vêtements et elle fait face à son visage. Les plis du vêtement ne sont qu'un support statique : ils permettent de tenir le livre. Sainte Christine a les bras croisés sur le ventre que couvre la robe froncée. Les plis du vêtement remplissent une tâche similaire à celle de sainte Catherine : ils soutiennent les bras afin qu’ils ne retombent. Sinon, les mains sont librement abaissées le long du corps et donnent une impression de résignation, d'indifférence face au destin. Chez Costanza Trenta, cependant, la position de la main est configurée d'une autre manière. Sa paume, à la différence de deux saintes est tournée vers l’intérieur du corps. Le geste de la main, posée sur le ventre, est protecteur. On le comprend sans difficulté : la mère touche son enfant et l'apaise. C’est à la fois un signe de fierté.

De plus, il faut signaler que la comparaison du protocole d’équipement de la pièce dans La Naissance de Saint Jean-Baptiste[52] et le portrait des époux Arnolfini, suggère plus qu’ostensiblement qu’il s’agit d’une pièce dans laquelle tout est soumis à la future accouchée. Dans ce contexte, la présupposition la plus vraisemblable serait que Costanza est morte post partum. Ce serait une hypothèse qui concerne les modalités de son départ, constituant ainsi un fait en soi.

Celui-ci implique la question de l’enfant. La statuette de sainte Marguerite est un indice plus que révélateur. La sainte est invoquée pour une délivrance, en particulier par les femmes enceintes. Etant donné le fait que « Le mariage Arnolfini resta sans enfants » (Rynck, 2004, 29) on conclurait à la nécessité d’une perte double. Cette hypothèse expliquerait la terrible souffrance sur le visage du commanditaire. On est en face d’une douleur, d’un déchirement qu’on peut sentir physiquement, sous forme d’une maladie : « Sa peau est pâle et il est très maigre, voir chétif, avec des traits marqués il pourrait presque sembler malade (on ne peut voir s’il a des cheveux) ».[53] Giovanni Nicolao incarne l’exact opposé d’une figure qui s’apprêterait à célébrer son mariage, resplendissant d’émotions, de convivialité, dans une ambiance détendue. Blême et cireux, le « visage terrifié »[54] hante par ce qu’il exprime. Il est imprégné d’une tristesse générale, d’une noire mélancholie comme s’il traversait un passage à vide.[55] Le jeune homme pense au passé : la nostalgie le tourmente, il semble avoir perdu toute motivation pour avancer. Un mal de vivre l’asservit, visiblement. Il reste prostré, une anxiété inhabituelle le domine, avec des difficultés due au moment de la double séparation. Son visage réfléchit le trouble et invite aux envois à un niveau de compréhension supérieure. Comme les yeux sont considérés être le miroir de l’âme, on y voit l’angoisse qui ne pourrait s’apaiser qu’au bout de l’éternité. C’est à ce qu’invite la surface polie installé derrière le dos de deux protagonistes, l’espace obnubilé de l’avenir.

Ce ne serait pas sans rapport aux médaillons sur la bordure du miroir. Dans les petits cadres arrondis figurent les scènes de la dernière journée du Christ sur terre. L’ensemble correspond infailliblement à l’état d’âme de Nicolao Arnolfini : c’est sur ce qu’il appuie le reste de l’espoir, afin que la reviviscence traverse de nouveau sa pensée. La Passion du Christ est notamment une entité bipolaire : elle contient la souffrance et la mort, comme la résurrection et la vie éternelle. Jan Van Eyck la plaça dans la ligne horizontale qui par la verticale du lustre et du contact des mains des époux unit le monde du vivant avec le monde de l’éternel ou de l’éternel vivant. Il s’agit du monde post festum, du monde au-delà, quel qu’il soit et dans la mesure dans laquelle il existe, s’il existe. Si à l’échelle de la modernité, l’au-delà est quelque chose d’a priori impensable, la continuité de l’existence, indépendamment de la mortalité du corps, était au temps de Jan Van Eyck acceptée. Au Moyen-Âge, dont la Renaissance du Nord était héritière, il n’était pas possible de concevoir, même formellement, l’inexistence de Dieu.[56]

On pourrait donc présupposer que les figures assorties à la bordure du miroir suggèrent l’éternité, reconfigurée par l’imagination de l’artiste. C’est le miroir, l’œil, en forme de l’objet sphérique vers lequel convergent les lignes structurant le tableau : « L’œil de Dieu »[57] qui est à la fois l’objet à travers lequel on regarde celui qui (nous) regarde. Le miroir est l’objet scopique qui relie le domaine des vivants au royaume de la mort : « In art of the period, mirrors like that of the Arnolfini are also sometimes identified as mirrors of death - a further element in the repertoire of memento mori. The idea here is that mirrors tell the truth about life in the mirror we are nothing but this

transient being ».[58] En conséquence, le miroir à l’époque revêtait parfois le sens théophanique, pareil à celui qui caractérise les icȏnes dans l’orthodoxie. C’est-à-dire que le miroir était un signe ayant un rapport de ressemblance avec la réalité sacrée à laquelle il renvoyait. C’était une réalité iconique, le simulacre du transcendantal. « Contemporary documents suggest that mirrors were provided to pilgrims to certain religious shrines who used them there to capture in the glass the reflections of venerated relics or reliquaries. As signs of holiness, these mirrors would then be presented to local churches, where their remembered reflection would bestow testimonial power on a new location » (Seidel, 1993, 143-144).[59]  

Il est dans la nature du miroir de transsubstantier le point de vue qu’adopte l’œil humain : ce qui est à l’envers devient en conséquence ce qui est à l’endroit. Bien que les miroirs réfléchissent les rayons de manière symétrique et inversent l'image de l'objet de droite à gauche, le miroir bombé dans le portrait Arnolfini effectue une transformation particulière. Celle-ci laisse entrevoir les « accidents » qui surgissent comme conséquence de l’image déformée par le miroir. L’altération concerne les mains des époux, la peau et le visage de l’épouse et le chien. On sous-entend que c’est l’effet voulu de Van Eyck, dans le but de transmettre un message. Etant donné l’ampleur de la déformation le changement opéré doit impliquer des éléments indispensables quant à la compréhension de l’ensemble.

On remarque alors que dans cet envers du décor, les époux ne se tiennent plus la main. En fait, les mains disparaissent. Au premier plan du tableau, celui qui n'est pas reflété par le miroir, Costanza Trenta a sa main gauche posée sur le pli du manteau, en-dessous de la ceinture. La main est déguisée par le surcout dont l’étoffe intérieure est cousue de fourrure d’hermine. Son pelage d’hiver contraste avec la manche bleue du doublet sur le fond vert. C’est la couleur blanche qui, projetée à travers le miroir, met en relief le fait que la ligne de la fourrure passe ininterrompue du haut vers le fond donnant la place au bras, sans qu’il y ait une partie renflée. La ligne en blanc est droite, jusqu’à la fin. Même si Costanza Trenta tenait sa main fermement contre le corps, le renflement, si minime qu’il soit, devrait être visible. Il ne l’est pas ; pourtant il l’est quand on prend en considération le côté recto du tableau. On constaterait de même pour l’homme, couvert par une huque de velours, dont les bords sont aussi garnis de fourrure. Là, l’absence du renflement est d’autant plus visible puisqu’il s’agit d'un homme avec une constitution corporelle plus forte qui concerne également les membres (les bras).

Le portrait présente l’alliance des époux ; l’histoire de l’art est unanime sur ce sujet. Toutes les recherches concordent davantage que ce sont les mains dont la jonction est le symbole le plus spécifique du tableau. C’est un signe fort, foisonnant de références. Les mains sont mutuellement offertes, elles tendent l’une vers l’autre dans le sentiment d’affection et d’attachement. Se prendre par la main fait ressentir une proximité physique ; les Arnolfini se transmettent de la tendresse et de l’empathie.

« L’œil de Dieu » toutefois réfléchit une situation changée. Les époux ne forment plus un couple, ils sont nettement séparés, étant rangée à part, l’un et l’autre, dans un espace qui n’est plus saturé de leur présence. Restés sans contact mutuel qu’assurent les mains, ils paraissent de trop. C’est parce que « Le miroir », la théophanie de l’éternité « nous donne la possibilité de voir ce que nous ne pouvons pas voir ».[60] Ce qu’on ne peut pas voir est suggéré par l’intuition créatrice. Le dualisme foncier de la nature humaine veut qu’on coexiste par rapport aux deux principes, celui du sensible et celui du spirituel. Au temps de Van Eyck, l’actualité de l’existence se rattachait nécessairement à l’essence de Dieu. Elle pourrait bien le faire encore, au moment où nous écrivons. L’homme dépend de la source de l’être qui est ineffable et inconnaissable. Tout ce qui existe est sujet à cette logique bipolaire qui établit la structure ontologique. Cela concerne même la disposition de l’espace géométrique d’une toile : « Le ton religieux est omniprésent dans cette scène. Il se manifeste par divers aspects. L’aspect structurel du tableau est déjà en lui-même une évocation de la perfection divine, puisque tout est rassemblé ici de manière extrêmement rationnelle et de même coup cette axe qui traverse la composition de manière puissante révèle aussi la présence divine. C’est comme un fil qui serait tendu en direction du ciel ».[61] C’est la ligne qui se trace dans le miroir. Celui-ci constitue la mise en abyme où dans les images de la réalité s’incrustent celles qui sont libérées de circonstances fortuites, des éventualités qui disposent du sort des humains. La mise en abyme met en relief le raccourci de la perspective qui comprime l’étendue de la toile. Les figures qui se reflètent à l’envers, au moyen de l’axe vertical, passent à la mode de l’existence qui les rapproche de l’éternité, d’un espace mal connu, opaque, tel que nous est davantage suggéré par le « sfumato » dissimulant encore les images réfléchies dans le miroir. Les Arnolfini se découplent. Les mains qui les relieraient ne seraient ici qu’un paralogisme. Consanza Trenta est notamment passée au niveau supérieur, de point de vue ontologique. Etant encore en période de transition, elle revêtira bientôt un corps nouveau, séparé à jamais de celui de son mari. Elle ne lui est plus fidèle, dans le sens étymologique du mot. Elle ne peut pas l’être puisqu’elle n’est plus.

L’anéantissement de la figure de l’épouse ainsi que de sa peau présente une mise en évidence particulière de la séparation définitive. Le visage de Costanza, tourné de deux tiers ne laisse pas voir une partie minime de la chair, tandis que la nuque de Giovanni Nicolao est bien visible.  A première vue ce serait une contradiction. Le chapeau de l’homme in recto recouvre complétement le col de la chemise, sans laisser transparaitre un centimètre carré de la peau. De l’autre côté, on devrait voir au moins le bout du nez ainsi qu’une partie de la joue de l’épouse, étant donné que le miroir devrait étirer en longueur les formes du corps, présentées devant le point de fuite du tableau. Il n’en est pourtant rien. Cette antinomie ne se dissout que en poursuivant la ligne de l’interprétation qui insiste sur la logique d’un portrait posthume. L’effacement de la chair est le signe plus que visible du passage à l’au-delà, vers l’éternité. Sine ira et studio, la figure de Costanza projetée par le miroir, fait penser à un fantôme, habillé de vêtements.  

C’est pour même raison que la mise en abyme implique la disparition du chien. Connote-t-il la fidélité conjugale ? Oui. Son absence serait une sorte de jeu de dupe par laquelle le peintre voudrait mettre en garde le commanditaire du tableau, en raison de la prétendue inconstance ?[62] Non, C’est plus qu’improbable. Giovanni Nicolao n’est guère un prince des cocus, si amusante que paraisse cette parabole.

La fonction du chien, en particulier, est de conduire les âmes des défunts, à s’effacer en les effaçant : « La première fonction mythique du chien, universellement attestée, est celle de psychopompe, guide de l’homme dans la nuit de la mort, après avoir été son compagnon dans le jour de la vie ». Il disparaît comme symbole de fidélité parce la mort détruit tout ce qui est terrestre, le mariage en premier lieu. Il n’est plus question d’être fidèle. Le chien est le signe avant-coureur de la mort, il est la divinité tributaire de la disparition, avant tout de celle d’une jeune femme, arrachée du quotidien : « Il n’est pas sans doute une mythologie qui n’ait associé le chien à la mort, aux enfers, au monde du dessous, aux empires invisibles que régissent les divinités chthoniennes ou séléniques. Le symbole très complexe du chien est donc, à première vue, lié à la trilogie des éléments terre – eau – lune dont on connaît la signification occulte, femelle, tout à la fois végétative, sexuelle, divinatoire, fondamentale, tout aussi bien pour le concept d’inconscient que pour celui de subconscient ».[63]

Plus loin qu’on avance dans l’abîme du miroir, plus opaques deviennent les objets. Au fond du champ du visible on entrevoit les deux personnes, tournées l’une vers l’autre. Il est inutile de vouloir deviner leurs identités : le peintre a soigneusement évité tout indice qui pourrait permettre une singularisation quelconque. La figure en bleu représente-elle le peintre ? Néanmoins, comme à propos de La Vierge au chanoine Van der Paele[64] où la surface polie sur la tranche du bouclier dans le dos de saint Georges serait censée réfléchir l’image du peintre, on ne peut qu’établir : « It is not paint precisely enough to determine that ».[65] Ceci est d’autant plus vrai que la figure en bleu qui serait censée représenter le peintre ne porte pas l’instrument de son métier, le pinceau. Or elle le porterait dans le tableau La Vierge au chanoine Van der Paele [66] ce qui n’est pas vraisemblable puisque tout pinceau, si minime qu’il soit, est invisible sur l’arrière fond de la tranche.[67] De tout évidence, on ne l’aperçoit pas.

Si le peintre a laissé les deux figures non-identifiées en ce qui concerne l’individualisation de leurs visages, il y a d’autres marques distinctives qui les caractérisent. Connaissant la sensibilité de Van Eyck on pourrait présupposer que cela n’était pas sans intention. En fait, le trait pertinent des figures, c’est qu’elles resplendissent de deux couleurs différentes. Leur éclat est – même à une telle distance du point de fuite – surprenant. Les personnages sont couverts du bleu et du rouge dont les teints s’opposent. Si on ne considère que les couleurs, l’unique élément qui présente un point de repère, on pourrait toutefois constater que c’est un guide fiable. Les couleurs sont riches de signification. « Elles symbolisent l’espace, le bleu, la dimension verticale ; le rouge la dimension horizontale, plus clair à l’orient, plus sombre à l’occident » (Chevalier, Gheerbrant, 1982, 294). Les deux figures qui se regardent marquent les deux dimensions de l’intervalle. La ligne de fuite est mise en relief par la coloration des objets qui se retrouvent sur l’axe médian, superposés l’un sur l’autre au point où convergent les regards. Ce sont le siège et le miroir, placé en dessus de lui. Ils composent les deux extrémités de la ligne horizontale, « l’occident et l’orient » du tableau. La tapisserie du siège et le coussin sont recouverts de rouge sombre, plus foncé que n’est la couleur du lit. Le même lit, réfléchi par le miroir,[68] est stylisé en rouge écarlate dont le teint se différencie ostensiblement de son originel de côté recto. Si l’un est « à l’orient », l’autre appartient « à l’occident ». Van Eyck s’est servi du langage symbolique afin de renforcer la distance entre les deux bouts du tableau ce qui lui a permis de prolonger la perspective, en la transcendant à l’infini, par le biais de l’eschatologie qu’indiquent les médaillons sur la bordure. Les figures montrent le chemin qui passe en deux directions. L’image du miroir est notamment une image à l’envers. L'occident et l’orient sont inversés. L'un peut être l'autre et vice versa. De même que l’autre binôme : la vie, derrière, c’est toujours la mort. Celle-ci, cependant, peut être le début d'une nouvelle existence, celle dans l'éternité. C’est dont témoigne via crucis incrusté dans les médaillons. Elle indique le chemin que vient d’emprunter Costanza Trenta.

La figure en bleu est, elle aussi, revêtue d’un symbolisme fort. Elle marque la verticalité et la profondeur, par l’analogie avec le ciel et l’eau, deux signes de référence, servant à se situer. La couleur bleue surpasse, pourtant, le sensible : « Le bleu est la plus profonde des couleurs : le regard s’y enfonce sans rencontrer d’obstacle et s’y perd à l’infini, comme devant une perpétuelle dérobade de la couleur. Le bleu est le plus immatérielle des couleurs : la nature ne le présente que fait de transparence, c’est-à-dire de vide accumulé, vide de l’eau, vide du cristal ou du diamant. Le vide est exact, pur et froid. (…) Les mouvements et les sons, comme les formes disparaissent dans le bleu, s’y noient, s’y évanouissent comme l’oiseau dans le ciel ».[69]

Les médaillons sont reliés par l’image centrale projetée à travers le miroir par un cercle en bleu. Le cercle est un des emblèmes les plus pertinents de l’éternité ; pourtant : comme il est coupé par les traits rouges, perpendiculaires à la ligne du cercle, on comprend que l’actualité de l’univers des humains est soumise au hasard, à la chance. Nous sommes et nous ne sommes pas. Nous nous évanouissons dans l’éternité ; nous disparaissons dans le bleu, dans la transparence qui est de tous les temps.

La versatilité symbolique du portrait Arnolfini dont le moteur principal est le miroir convexe, indique en soi que l’auteur a crypté plusieurs messages complémentaires dans la toile. Jan Van Eyck s’est servi d’une symbolique qui elle-même indique la plurivalence et l’ouverture sur de nombreuses pistes d’interprétation, pourtant convergentes. Le portrait des Arnolfini ne peut être interprété uniformément et d’un bloc, non tenant compte de l’esprit de l’époque. Approcher l’inconnaissable de l’amour, de la vie et de la mort n’a jamais impliqué de réponses définitives. L’illusion serait de penser que ce ne soit pas le cas dans les temps modernes.  

Retrouvez la 1ère partie en cliquant ici

Boštjan Marko Turk, Université de Ljubljana, Slovénie

L’auteur dédie l’article à la mémoire d’Ante Glibota, vice-président de l’Académie européenne des sciences, des arts et des lettres

 

[39] Cf : https://artsartistsartwork.com/jan-van-eyck-portrait-of-giovanni-di-nicolao-arnolfin, consulté le 31 janvier, 2021.

[40] Cf : Hall, Panofsky et allii, cités au cours du texte.

[41] Cf :  Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

[42] Valentin Denis, Van Eyck, Fernand Nathan, Paris, 1982.

[43] Cf : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6a/Jan_van_Eyck_-_L%C3%A9al_Souvenir_-_National_Gallery,_London.jpg, consulté le 31 janvier 2021.

[44] Sous la toile – Le mystère des époux Arnolfini. Youtube 19 juillet 2019.

[47] Le musée imaginé – Le musée confiné, 1 – Jan Van Eyck – Les époux Arnolfini. Youtube le 29 avril 2020.

 

[48] Cf : « But she is actually not pregnant », in Dave Drapak, DRAPAK.CA, Art analysis of Jan Van Eyck The Arnolfini Portrait from 1434. Youtube le 12 avril 2020. Et : « Ce n’est pas une dame enceinte que Giovanni Arnolfini doit épouser à toute vitesse », in J.E. Berger, Les clefs du regard – Jan Van Eyck. Youtube le 14 février 2013. Nous donnons deux exemples les plus prononcés contre l’éventuelle grossesse de Mme Arnolfini.  

 

[50] Cf. : https://www.pinterest.com.au/pin/448741550352981863/, consulté le 2 février 2021.

[51] Cf. : https://lucascranach.org/UK_NGL_6511-2/image, consulté le 1er février, 2021.

[52] Cf. : https://fr.wahooart.com/A55A04/w.nsf/O/BRUE-8EWK8U, consulté le 1er février 2021.

[53] Miroir dans l'art – Les époux Arnolfini – Jan Van Eyck. Youtube 3 juin 2018.

[54] Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

 

[55] La détresse de Giovanni Nicolao rappelle, mutatis mutandis, l'état d'Orphée, affaibli et languissant après la perte de son amour. Cf : « Apres la seconde mort d'Eurydice, et son passage par les Enfers, Orphée se révèle beaucoup plus fragile. » (Brunel, 1998, 1136).

Orphee, Dictionnaire des mythes litteraires, Rocher, sous la direction de Pierre Brunel, Paris, 1988, p. 1136

 

[56] Cf : « Le moyen âge, siècle de la foi la plus absolue, de l’universelle chrétienté » (Aury, 1997, 3). (AURY, Dominique, « Introduction », in Anthologie de la poésie religieuses française, Gallimard, Paris, 1997.

[57] Jean-Philippe Postel, Le Secret des époux Arnolfini - Lexicopoleio. Youtube 17 septembre 2019.

[58] Margaret L. Koster, The Arnolfini double portrait : a simple solution, Apollo, 158 (99), pages 3–14, septembre 2003. Cf : https://www.thefreelibrary.com/The+Arnolfini+double+portrait%3A+a+simple+solution.-a0109131988, consulté le 3 février 2021.

 

 

[59] SEIDEL, Linda, Jan van Eyck's Arnolfini Portrait, Cambridge University Press, Cambridge, 1993.

[60] L’Art en partage l'Art en voyage - Les époux Arnolfini van Eyck. Youtube le 22 mars 2020.

[61] Le musée imaginé – Le musée confiné, 1 – Jan Van Eyck – Les époux Arnolfini. Youtube le 29 avril 2020.

 

[62] L'argument de l'infidélité, largement soutenu par J.P. Postel, est en soi contradictoire. Giovanni Nicolao Arnolfini aurait commandé la toile afin de rendre publique l’infidélité de son épouse ? Et de se faire la fable et la risée de tout le monde ? Jan Van Eyck aurait réalisé le portrait conjugal, y compris l’enjeu des symboles, afin d’avertir Giovanni Nicolao de l’infidélité de son épouse ?

[63] Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, Paris, 1992, p. 239.

 


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